Dix ans après Charlie, le retour du débat entre liberté d’expression et respect des sensibilités
Il y a dix ans, le 7 janvier 2015, la rédaction de Charlie Hebdo était décimée par des terroristes islamistes, à Paris, provoquant une vague mondiale d’indignation, d’émotion et de solidarité.
Depuis 2006, le journal satirique publiait, entre autres, des caricatures du prophète musulman Mahomet, ce qui a conduit à poser la question de la liberté d’expression et de ses limites.
Une décennie plus tard, le débat a été relancé indirectement par la nouvelle Miss France, Angélique Angarni-Filopon, âgée de 34 ans, lors de son passage sur Sud Radio le 8 janvier.
« À la question de savoir si elle aussi est "Charlie", Angélique Angarni-Filopon a préféré garder le silence », raconte Paris-Match. La Miss France a refusé de se prononcer sur les questions de liberté d’expression et de droit au blasphème.
« Peut-être que cela a été maladroit mais dans ma fonction de Miss France, je me dois une neutralité sur certains sujets pour éviter tout malentendu », a réagi l’ancienne Miss Martinique sur Instagram, après avoir suscité une vague de critiques.
Se défendant de cautionner des actes aussi barbares que les attentats de 2015, Angélique Angarni-Filopon a ajouté que « Charlie Hebdo touche à des enjeux profonds et bien évidemment, la liberté d’expression est primordiale en France. »
Mais qu’en pensent les Français et quelle place accordent-ils à la liberté d’expression, notamment par rapport au respect des sensibilités ? Nos réponses en images.
D’après une enquête de l’institut de sondages IFOP et de la Fondation Jean-Jaurès, réalisée en partenariat avec Charlie Hebdo, 76 % des Français considèrent la liberté d’expression et de caricature comme un droit fondamental, contre 58 % en 2012.
Aujourd’hui, 62 % des personnes interrogées sont favorables à la loi de 1881 autorisant la critique des religions ou les moqueries contre elles, contre 50 % en 2020.
Sur le point précis des caricatures de Mahomet, la proportion de personnes estimant que Charlie Hebdo n’aurait pas dû les publier pour ne pas provoquer de nouvelles tensions a été divisée par deux (24 % contre 47 % en 2012).
Par ailleurs, une majorité considère que l’on peut faire de l’humour au sujet de la mort (56 %) ou de la nationalité des personnes (55 %), de leur comportement s e x u e l (51 %, + 14 points depuis 2006) ou de leur origine ethnique (+ 20 points depuis 2006).
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D’autres sujets chargés historiquement restent plus sensibles : ainsi, une minorité de Français trouve normal de rire de la Shoah (28 %) ou du génocide de 1994 au Rwanda (26 %).
Cette enquête montre que « les valeurs d’impertinence dont l’hebdomadaire Charlie Hebdo aime user – la liberté de caricaturer, le droit au blasphème, la satire et l’ironie, etc. – gagnent progressivement du terrain dans l’opinion », écrit la Fondation Jean-Jaurès sur son site internet.
Ces résultats contredisent « l’idée selon laquelle les Français seraient de moins en moins matures pour comprendre la caricature et de plus en plus hostiles au fait de rire de sujets considérés comme « sensibles » », poursuit ce think-tank.
Cependant, l’étude révèle que les personnes croyantes sont moins favorables à la liberté d’expression : 66 % d’entre elles la considèrent comme un droit fondamental (contre 82 % pour les athées) et 56 % sont favorables au droit au blasphème (contre 74 %).
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Les croyants sont également moins nombreux que les athées à estimer qu’on peut rire de sujets délicats, comme l’origine ethnique (37 %, contre 62 %) ou la mort (41 %, contre 72 %).
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Parmi les personnes croyantes, 35 % seulement trouvent normal de rire du judaïsme, 36 % de l’islam et 40 % du christianisme, contre respectivement 63 %, 64 % et 67 % chez les personnes athées.
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D’autre part, les générations plus jeunes semblent moins attachées à la liberté d’expression et au droit au blasphème. Ainsi, 32 % des moins de 35 ans pensent qu’on ne peut pas dire et caricaturer n’importe quoi sous couvert de liberté d’expression, contre 21 % des plus de 35 ans.
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Par ailleurs, une minorité de moins de 35 ans juge qu’il est « acceptable de rire de la nationalité des personnes (48%, contre 55% en moyenne) ou de l’h o m o s e x u a l i t é (44%, contre 51% des Français en moyenne) », indique la Fondation Jean-Jaurès.
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De même, seuls 56 % des moins de 35 ans participeraient aujourd’hui à la minute de silence pour Charlie Hebdo, (contre 73 % des 35-64 ans et 80 % des plus de 65 ans), et 33 % se rendraient aux manifestations de soutien (contre respectivement 52 % et 42 %).
Assiste-t-on à un basculement culturel progressif, avec de jeunes générations qui privilégient le respect des sensibilités à la liberté d’expression et au droit de rire de tout ?
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Et vous, pensez-vous que la liberté d’expression est menacée ? Ou qu’il faut aussi accorder de l’importance au respect des croyances ? Donnez votre avis dans les commentaires !