Vers un nouvel ordre mondial : les grandes entreprises vont-elles supplanter les gouvernements ?

Dans la plupart des pays, vous pouvez consommer une boisson gazeuse fraîche dans un fast-food tout en naviguant sur le web à l'aide de votre téléphone portable. Nous vivons dans un monde interconnecté, c'est un fait indéniable.

Le concept d'État-nation semble traverser une période de transition. Dans une société mondialisée où les gens voyagent plus que jamais et où les frontières perdent de leur importance, certains pensent que la société humaine finira par s'uniformiser à l'échelle mondiale. C'est une préoccupation pour beaucoup de gens.

Un engagement clé pour de nombreux politiciens, en particulier à droite, a été la promesse de fermer les frontières, motivée par la montée des mouvements populistes dans un contexte de crises migratoires répétées.

Au fil des décennies, les pays en développement d'Asie, d'Afrique, d'Océanie et d'Amérique latine ont subi l'influence des superpuissances ou ont connu des systèmes de domination plus violents et plus directs de leur part.

Notre conception de la nation est bien plus récente que la plupart des gens ne le croient. Selon l'Encyclopædia Britannica, l'État-nation est un territoire gouverné par un gouvernement (l'État) qui représente à son tour une communauté de citoyens partageant une identité (la nation).

La Révolution française est largement considérée comme un moment charnière de l'histoire, marquant l'émergence de l'État-nation en Europe occidentale au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Avant cette évolution majeure, le concept d'une nation gouvernée par un dirigeant étranger n'était pas considéré comme inhabituel. Par exemple, l'empereur du Saint-Empire romain germanique pouvait également détenir les titres de roi d'Espagne et de souverain des Pays-Bas.

Les individus accordaient généralement la priorité aux préoccupations de leur voisinage immédiat, en se concentrant sur leur ville ou leur province. Par exemple, les Vénitiens s'identifiaient principalement en tant que Vénitiens, plutôt que comme Italiens au sens large.

En l'absence d'autorité suprême, des pays tels que l'Allemagne et l'Italie ont été contraints de redéfinir leur identité, en s'alignant sur des caractéristiques telles que la langue, le territoire ou la religion. C'est pourquoi le processus de développement d'une identité nationale unifiée a été long.

Le développement de l'État-nation a été fortement influencé par l'éducation et la communication. Ces facteurs ont contribué à favoriser une langue, une culture et une vision du monde communes, par-delà les classes sociales et les frontières géographiques.

Certains experts estiment que notre conception actuelle du concept de pays est peut-être en voie d'obsolescence. En effet, Internet, l'éducation et la communication ont eu une influence si profonde sur les générations actuelles que les frontières n'ont plus la même signification qu'autrefois.

Rana Dasgupta, dans un article d'opinion publié en 2018 dans le journal britannique The Guardian, a soutenu que la montée du nationalisme extrémiste n'était pas une réaction aux bouleversements sociaux, mais un symptôme de crises plus profondes. Il affirme que le déclin de l'État-nation a été l'évolution la plus significative de l'époque actuelle.

Rana Dasgupta a écrit que "l'autorité politique nationale est en déclin et, comme nous n'en connaissons pas d'autre, cela ressemble à la fin du monde. C'est pourquoi une étrange forme de nationalisme apocalyptique est si largement en vogue".

Mais par quoi sera remplacée l'autorité des nations en déclin ? De nombreux penseurs ont exprimé leur inquiétude face au fait que les grandes entreprises exercent déjà un pouvoir équivalent à celui d'un pays de taille raisonnable depuis quelques décennies.

En 2019, l'écrivain et militant politique Lorenzo Marsili affirme, dans un article d'opinion écrit pour la chaîne de télévision satellitaire en langue arabe Al Jazeera que les entreprises privées empiètent sur la fonction des nations souveraines.

Lorenzo Marsili écrit que "nous assistons à la naissance d'un nouveau type de pouvoirs planétaires, qui présentent de véritables caractéristiques étatiques : des 'nations-entreprises' mondiales qui peuvent étendre leurs pouvoirs à l'ensemble de la planète".

Selon Lorenzo Marsili, ces "nations-entreprises" peuvent se développer grâce au pouvoir excessif qu'elles détiennent dans l'économie mondiale et à la responsabilité limitée des grandes entreprises envers les gouvernements nationaux.

Selon le site Internet Visual Capitalist, le chiffre d'affaires annuel d'Amazon est supérieur à ce que génèrent le Mexique ou la Corée du Sud, tandis que le capital boursier d'Apple est plus important que l'économie de l'Italie, du Canada ou du Brésil.

Dans le même temps, certains spécialistes prédisent une orientation future vers un système administré par des organes supranationaux, à l'instar de l'Union européenne ou des Nations unies.

Dans le quotidien britannique The Guardian, Margaret MacMillan, professeure à la London School of Economics, aborde la question de la gouvernance mondiale : "à mesure que notre connaissance les uns des autres s'est développée au cours des derniers siècles, notre capacité à imaginer un ordre véritablement mondial s'est également développée".

Margaret MacMillan exprime son point de vue selon lequel la mise en place d'un gouvernement supranational serait une solution potentielle pour mobiliser une réponse collective face aux enjeux mondiaux actuels, tels que le conflit en Ukraine ou la pandémie de la COVD-19.

Cependant, la mise en place d'un gouvernement supranational pourrait engendrer un sentiment de déconnexion des citoyens par rapport au pouvoir de décision au niveau régional et national, ainsi qu'une diminution de leur représentativité.

La professeure de la London School of Economics estime que l'État-nation reste un acteur majeur et le restera encore de nombreuses années. Elle évoque le cas récurrent des désaccords entre les États membres de l'Union européenne, illustré notamment par le Brexit, pour souligner cette tendance.

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