Voici comment la Russie parvient à contourner les sanctions occidentales
Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, et surtout l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022, les États-Unis et l’Europe ont imposé à la Russie un train de sanctions massives.
Embargo sur le pétrole et le gaz, gel des avoirs russes à l’étranger, restrictions financières, interdiction de l’exportation de certains biens vers la Russie, fermeture des routes aériennes et maritimes… presque tous les secteurs économiques ont été ciblés par les pays occidentaux.
Selon les estimations de David O’Sullivan, l’envoyé spécial international pour la mise en œuvre des sanctions de l'Union européenne, le manque à gagner pour l’État russe serait équivalent à 400 milliards d’euros.
Les sanctions sont-elles efficaces ? La réponse est oui, selon la représentation de la France auprès de l’Union européenne : la Russie investit désormais très peu dans l’innovation et les sanctions sur des produits comme les avions ou les semi-conducteurs ont un impact direct sur l’économie du pays.
Néanmoins, il apparaît de plus en plus clairement que les sanctions sont contournées via le commerce avec des pays tiers, non sanctionnés par l’Occident, mais qui continuent de leur côté à échanger avec la Russie.
Les Échos indiquent ainsi que les exportations de l'Union européenne et des États-Unis vers le Kirghizistan ont été multipliées respectivement par 10 et par 4 entre 2021 et 2023. Des chiffres similaires pour l’Arménie (x 2,8 depuis l’UE, x 2 depuis le Royaume-Uni et x 4,2 depuis les États-Unis sur la même période).
Ce boom des exportations est d’autant plus suspect qu’il concerne des secteurs précis : très faibles avant la guerre, les importations kirghizes d’automobiles ont augmenté de 1 428 % en 2022 et celles de machines électriques de plus de 1 000 %.
« Au Kazakhstan, les importations de smartphones et d'ordinateurs en provenance de l'Union européenne ont complètement explosé au cours de l'année 2022. Le Kirghizistan s'est mis à importer des composants aéronautiques depuis les États-Unis », précise Michaël Levystone, un spécialiste de l’Asie centrale cité par Les Échos.
Ces chiffres surprenants, corroborés par l’explosion des exportations de ces pays vers la Russie, révèlent que ces États de l’espace post-soviétique servent de plateformes de réexportation : des entreprises locales achètent des technologies occidentales pour les réexpédier chez leur grand voisin.
Ces flux commerciaux sont problématiques, car certains des produits concernés sont classés par l’Union européenne comme des « biens à double usage » ou des « technologies avancées cruciales » qui peuvent être détournés à des fins militaires, précise le journal économique.
Le Financial Times a également souligné l’existence d’un milliard de dollars de « produits fantômes », en principe exportés depuis l’Europe vers ces pays tiers, mais qui n’arrivent jamais à destination et sont, selon toute vraisemblance, acheminés vers la Russie.
D’autres pays que les anciennes républiques soviétiques servent de zones de transit pour le contournement des sanctions, comme la Turquie (par ailleurs membre de l’OTAN), les pays du Golfe et l’Inde.
Depuis le début de la guerre, Moscou a recours à de nombreuses autres stratégies pour contourner les sanctions, notamment en opérant des transactions par l’intermédiaire de banques de pays du Golfe.
Autre technique déployée par la Russie, selon le Financial Times : la constitution d’une flotte fantôme de méthaniers pour pouvoir acheminer ses hydrocarbures. Ces bateaux vieillissants seraient plus vulnérables aux accidents et aux marées noires.
Le quotidien britannique a aussi révélé récemment l’existence d’un plan du ministère russe de l’Industrie et du Commerce pour acheter plus d’un milliard d’euros de composants électroniques à l’Inde.
« Le plan, révélé dans des lettres adressées à un organisme de promotion commerciale étroitement lié aux services de sécurité russes, visait à utiliser les "importantes réserves" de roupies amassées par les banques russes grâce à l'essor des ventes de pétrole à l'Inde », ajoute ce journal.
Malgré le contexte actuel, 1 674 entreprises européennes issues de secteurs non sanctionnés, dont 90 françaises, seraient toujours actives en Russie, selon un décompte du KSE Institute, rattaché à l'université d'économie de Kyiv.
Cependant, les sanctions continuent de se durcir, touchant également des opérateurs européens. La Banque centrale européenne (BCE) a exigé des banques du continent toujours actives en Russie qu’elles interrompent leurs paiements internationaux.
Par conséquent, la banque autrichienne Raiffeisen, très active en Russie, a annoncé à ses clients, des sociétés européennes présentes sur place, qu’elle interromprait les opérations de paiements à l’international émises depuis ce pays à partir de septembre 2024. La BCE a aussi exigé de cette banque qu’elle réduise de 65 % ses prêts à des clients russes d’ici à 2026.
De son côté, le Trésor américain a lancé une nouvelle vague de sanctions, prévoyant notamment de très lourdes amendes (et des peines de prison) pour les banques des pays d’Europe et du Golfe qui contournent les mesures adoptées contre la Russie.
« Aujourd'hui, les efforts de Washington pour combler ces failles semblent porter leurs fruits. La principale banque publique de Dubaï a fermé certains comptes détenus par des oligarques russes et des négociants en pétrole russe », indique le Wall Street Journal.
« Les prêteurs turcs se méfient de plus en plus des opérations liées à la Russie. Les États-Unis ont également mis en demeure les banques de Vienne, un autre pôle financier important », ajoute ce média.
Si Moscou s’appuie sur la vente d’hydrocarbures pour financer l’invasion de l’Ukraine, la question de l’efficacité des sanctions occidentales continue de faire débat. Deux ans et demi après le début de la guerre, l’étau économique semble toutefois se resserrer autour de la Russie !