Corse : de violentes manifestations en soutien à Yvan Colonna
Dans la journée du 13 mars, une manifestation de soutien au terroriste Yvan Colonna a rassemblé plusieurs milliers de personnes à Bastia. Des affrontements ont eu lieu avec la police et des centaines de manifestants ont incendié le centre des impôts.
Malgré un dispositif de sécurité important, "environ 300 cocktails Molotov ont été découverts", selon le procureur de Bastia cité par France Info.
Le dernier bilan est de 67 blessés, dont 44 parmi les forces de l'ordre. La manifestation a aussi été le théâtre de slogans très hostiles à l'État français. Mais pourquoi tant de violence ?
Les manifestants étaient venus apporter leur soutien à Yvan Colonna, détenu depuis 2003 pour l'assassinat du préfet Érignac en 1998, et hospitalisé mercredi 2 mars. Agressé par un co-détenu radicalisé, il est désormais entre la vie et la mort. Le 3 mars, on a appris que son agresseur, placé en garde à vue, justifiait son geste en affirmant que Colonna avait "blasphémé".
Franck Elong Abé, l’agresseur, détenu à la prison d'Arles pour terrorisme, a indiqué durant sa garde à vue que Colonna a "mal parlé du prophète". Il a donc tenté de l’étrangler, puis l’a frappé à de nombreuses reprises. Mercredi, la mort d’Yvan Colonna a été annoncée avant d’être démentie. Si son état est "critique", il est "stationnaire" d’après son avocat, Patrice Spinosi, cité par BFMTV.
"Je crois évidemment que tout le monde est très choqué par cette histoire. Je veux avoir une pensée pour la famille de M. Colonna, je veux aussi en tant que ministre de l’Intérieur avoir une pensée pour Mme Erignac et la famille Erignac", partage Gérald Darmanin.
Yvan Colonna, berger de Cargèse et appartenant à des mouvements corses indépendantistes a toujours nié les faits qui lui sont reprochés et pour lesquels il est en prison. Il n’en demeure pas moins l’un des prisonniers les plus célèbres de France, qui rencontre de nombreux soutiens en sur l’île de beauté. Mais connaissez-vous vraiment l’affaire Colonna ? On vous dit tout.
Yvan Colonna est né le 7 avril 1960, à Ajaccio. Sa mère, Cécile Riou, vient du Finistère, son père, Yvan Colonna est quant à lui le fils de Jean-Hugues Colonna, né à Cargèse et ancien député socialiste des Alpes-Maritimes. La famille déménage à Nice en 1975.
Le jeune Yvan Colonna commence des études pour devenir professeur d'éducation physique et sportive. Mais en 1981, après un service militaire dans la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, il retourne en Corse. Il commence alors un élevage de chèvres. En 1990, sa femme, Pierrette, met au monde leur premier fils, Jean-Baptiste.
À la même époque, il entame ses premières actions militantes auprès de mouvement proches du Front de libération nationale corse (FLNC), qui milite pour l’indépendance de l'île. Mais au début des années 1990, quand le mouvement FLNC se déchire violemment entre les mouvements Canal Historique, Canal Habituel et Resistenza Corsa, Colonna prend du recul.
En 1997, il est poursuivi pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste". Il a en effet, attaqué une gendarmerie corse à coups d’explosifs. Durant cette attaque, deux gendarmes ont été pris en otage. Dans cette affaire, il est condamné pour son rôle de guetteur.
Le vendredi 6 février 1998, Claude Érignac, préfet de Corse et de Corse-du-Sud depuis le 5 février 1996, dépose sa femme devant un théâtre. Le couple doit assister à un concert de musique classique. Il gare sa voiture pour retourner au théâtre à pied. Quelques minutes plus tard, il est abattu : trois balles dans le dos, une dans la nuque à bout portant et deux dans la tête pour l'achever. Le tireur sort le chargeur de son pistolet et dépose son arme à côté du corps : le fameux Beretta 1992 F. L’arme avait été volée à l'un des gendarmes pris en otage en 1997.
Le 9 février 1997, l’assassinat est revendiqué par le groupe nationaliste corse, les “Anonymes”. Selon eux, le préfet représente un État colonial qui n’écoute pas leur revendication et leur souhait d’indépendance entre autres. Cet acte est destiné à être un électrochoc.
Quatre hommes sont arrêtés le 21 mai, non loin d’Ajaccio. Didier Maranelli est le premier à être arrêté. Les autres, Alain Ferrandi, Marcel Istria et Pierre Alessandri avouent leur implication deux jours après. Les hommes dénoncent un autre complice, Yvan Colonna, qui prend la fuite le 23 mai 1999. Huit autres personnes sont mises en examen pour assassinat ou complicité d’assassinat.
Le procès s’ouvre le 2 juin 2003. Les quatre accusés, Didier Maranelli, Alain Ferrandi, Marcel Istria et Pierre Alessandri mettent tous Yvan Colonna hors de cause. Mais après plusieurs années de cavale et de traque, ce dernier est arrêté le 5 juillet de la même année, à Olmeto, en Corse. Il est incarcéré à la prison de la Santé.
Le soir de l’arrestation, le premier ministre de l’époque, Nicolas Sarkozy, déclare, “La police française vient d'arrêter Yvan Colonna, l'assassin du préfet Érignac”. Il sera largement critiqué pour atteinte à la présomption d'innocence. De fait, Yvan Colonna entamera des poursuites judiciaires contre lui. Cependant, Colonna ne pourra pas le traîner tout de suite devant la justice : en raison de son immunité, le tribunal de Paris n'a pu que reporter son jugement à la fin des fonctions présidentielles de Nicolas Sarkozy. Colonna perdra finalement le procès en 2012.
Alain Ferrandi et Pierre Alessandri sont condamnés à la réclusion à perpétuité. Les six autres complices jugés sont quant à eux condamnés à des peines de 15 à 30 ans. Durant leur procès, ils sont plusieurs à incriminer Yvan Colonna, avant de se rétracter, probablement sous la menace de représailles.
Le 12 novembre 2007, Colonna est condamné à la perpétuité. La peine du procès en appel de 2009 sera la même, tout comme lors du pourvoi en cassation en 2011.
Yvan Colonna saisit la Cour européenne des droits de l'Homme, le 11 janvier 2013. Il estime que son procès n’a pas été équitable. Sa requête est rejetée en janvier 2015. La Cour européenne des droits de l'homme estime qu'elle est irrecevable.
Alors même qu'il est incarcéré à Fresnes, il se marie en 2011 avec Stéphanie. La même année, le couple accueillera un enfant, Joseph.
C’est une tentative d’évasion dont on se souvient. En 2013, Yvan Colonna est transféré à la prison de Réau, en Seine-et-Marne, pour suspicion de tentatives d'évasion avec rien de moins que des explosifs. Quelques semaines plus tard, il est renvoyé à Arles.
En 2018, sa femme Stéphanie Colonna, s’adresse à Emmanuel Macron. Elle lui signale que son fils ne peut pas voir son père. Incarcéré sous le statut de “détenu particulièrement signalé”, elle lui réclame son transfert en Corse.
En attendant que la lumière soit faite sur l'agression d'Yvan Colonna, espérons que la ville de Bastia retrouve rapidement le calme.