De l’ascension à la chute : l'histoire mouvementée de Jean-Charles Naouri à la tête du groupe Casino
Longtemps conquérant, le groupe français de grande distribution Casino (Casino, Franprix, Monoprix, Leader Price, Naturalia) s’est effondré après une longue descente aux enfers. Notre analyse en images.
Entre le surendettement de l’entreprise et le contexte économique marqué par l’inflation, les derniers mois ont accéléré la chute d’un empire présenté pendant des années comme un modèle de gestion.
Alors que l’action cotait encore à plus de 90 euros en 2014, elle ne vaut plus que quelques dizaines de centimes en cette fin d’année 2023. Plusieurs milliards d’euros sont partis en fumée et les petits actionnaires ont été ruinés.
Face aux difficultés qu’il rencontre, Casino est entré dans une procédure de conciliation avec l’État. Le but de la manœuvre ? Geler les impôts et taxes de la société pour espérer préserver ses emplois et ses fournisseurs.
En attendant, les concurrents français du groupe, comme Carrefour, Auchan ou Leclerc, sont déjà à l’affût pour savoir qui va reprendre quelle enseigne de Casino, selon les informations de ‘Vanity Fair’.
Que s’est-il passé pour qu’un groupe jadis en pointe connaisse une telle débâcle ? L’histoire récente de Casino est intimement liée à celle de son principal dirigeant, Jean-Charles Naouri. Explications.
Après avoir pris le contrôle du groupe en 1997, l’ambitieux Naouri l’a mené vers les sommets. Les difficultés ont pourtant fini par s’accumuler pour l’entreprise comme pour son patron. Mais qui est Jean-Charles Naouri ?
Né en 1949 en Algérie, ce fils d’une enseignante est un brillant élève dès ses années de lycée. Normalien, docteur en mathématiques, diplômé en économie à Harvard, énarque, Jean-Charles Naouri est un pur produit de la méritocratie à la française.
Dans les années 1980, le haut fonctionnaire dirige le cabinet de Pierre Bérégovoy, le ministre des Finances de François Mitterrand. Il devient l’un des hommes les plus puissants du dispositif gouvernemental.
Ensemble, l’ancien ouvrier Bérégovoy et le surdiplômé Naouri organisent la déréglementation du secteur bancaire et financier afin d’attirer des investisseurs étrangers en France.
« Durant quatre ans, j’ai été obsédé par le pouvoir », avait-il déclaré sans ambages dans un portrait que lui avait consacré ‘Le Nouvel Économiste’ en 1993. Cet homme de l’ombre côtoie alors les patrons français les plus puissants.
Son soutien au développement du secteur financier l’a beaucoup aidé lorsqu’il est passé dans le privé. « Il a mené la réforme des marchés financiers avec maestria, et cela a ensuite compté dans l’appui des banques quand il s’est lancé dans l’entrepreneuriat avec très peu d’apport », a confié son ami Baudouin Prot, l’ancien PDG de BNP Paribas, cité par ‘Vanity Fair’.
Après avoir créé sa propre société d’investissement en 1987, Jean-Charles Naouri s’engage progressivement dans la grande distribution, jusqu’à sa prise de contrôle du groupe Casino à la fin des années 1990.
Son règne est marqué par des batailles judiciaires et boursières homériques contre ses adversaires ou même ses anciens partenaires, de la famille Baud (fondatrice des enseignes Franprix et Leader Price) au magnat brésilien de la grande distribution, Abilio Diniz.
De l’avis général, Naouri est un patron visionnaire. Anticipant avant les autres le déclin du modèle de l’hypermarché en périphérie, il est aussi un pionnier de l’automatisation des caisses et du commerce en ligne, avec la plateforme Cdiscount.
Cependant, de premières inquiétudes sur la santé financière de Casino apparaissent dans les années 2010. Les analystes émettent de nombreux avis négatifs, auxquels la direction répond par… des plaintes !
Le groupe n’hésite pas à employer des méthodes douteuses pour dissiper la défiance. Comme le note ‘Vanity Fair’, de faux journalistes ont été envoyés pour tenter d’influencer les analystes sceptiques sur Casino.
Pour avoir défendu les investisseurs qui pariaient à la baisse et déclaré que le cours de l’action Casino était surévalué, l’avocate Sophie Vermeille a reçu plusieurs plaintes au pénal et été suspendue six mois par l’Ordre des avocats, saisi par Casino, avant d’être blanchie en appel.
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Mais qu’en était-il vraiment des finances de Casino ? La structure du groupe reposait sur ce que Naouri appelle la « stratégie du pauvre », un montage sur plusieurs étages où l’entreprise est détenue par une holding au faible capital, qui s’endette en apportant en gage les actifs des sociétés filles.
Efficace en temps normal, cette stratégie est très risquée en cas de baisse de l’activité ou du cours de bourse. En 2015, le financier américain Carson Block, de la société Muddy Waters, précipite la chute de Casino en publiant un rapport accablant selon lequel le cours de l’action ne devrait pas être de 48, mais de… 6,91 euros.
L’action Casino baisse immédiatement et continue de plonger les années suivantes, les financiers anglo-saxons ne cessant de parier à la baisse. Une situation qui indigne le patronat français, mais contre laquelle le groupe basé à Saint-Étienne se trouve impuissant.
Entre surendettement et effondrement boursier, la chute de Casino s’est achevée en 2023. Après l’effacement d’une partie de sa dette, une bataille pour la reprise du groupe de 125 ans a eu lieu en juillet, remportée par les milliardaires Daniel Kretinsky (sur la photo) et Marc Ladreit de Lacharrière.
Ancien actionnaire majoritaire, Jean-Charles Naouri a probablement perdu une partie de sa fortune dans la bataille. Mardi 5 décembre, les salariés menacés de Casino ont fait grève et manifesté contre la « vente à la découpe » du groupe, comme l’a signalé ‘Ouest France’.