États-Unis : l'interdiction de l'avortement nuit au système de santé et pourrait tuer des femmes, selon une étude
Une nouvelle étude de l'ONG Physicians for Human Rights, publiée en mars 2023, examine certaines des conséquences sanitaires de l'interdiction agressive de l'avortement en Louisiane. Elle révèle que la nouvelle législation met en danger non seulement la santé, mais aussi la vie des patients.
Près de deux ans se sont écoulés depuis que la Cour suprême des États-Unis a annulé l'arrêt Roe v. Wade et le droit constitutionnel à l'avortement.
Intitulée Criminalized Care : How Louisiana's Abortion Bans Endanger Patients and Clinicians ("Soins criminalisés : comment les interdictions d'avortement en Louisiane mettent en danger les patients et les cliniciens"), cette étude s'appuie sur des dizaines d'entretiens avec des prestataires de soins de santé et des patientes. Elle est l'une des plus complètes à ce jour sur les conséquences de cette décision sur la santé des femmes.
Le rapport conclut que l'interdiction de l'avortement modifie la façon dont les médecins traitent leurs patientes et détériore les soins de santé maternelle. "Il va y avoir des décès qui n'auraient pas dû se produire. Il y aura des complications graves qui n'auraient pas dû se produire", a déclaré à la NPR le Dr Nicole Freehill, gynécologue-obstétricienne de la Nouvelle-Orléans interrogée dans le cadre du rapport.
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L'étude a également montré que les "exceptions étroites et mal définies" pour les avortements, qui sont parfois nécessaires pour sauver la vie d'une femme, "créent de la confusion, de l'incertitude et de la peur à la fois pour les patientes enceintes et pour les cliniciens, qui risquent d'importantes sanctions professionnelles, civiles et pénales pour avoir fourni les soins centrés sur la patiente et empreints de compassion pour lesquels ils ont été formés".
Dans le rapport, un médecin a déclaré qu'elle et ses collègues avaient reçu une lettre du procureur général menaçant de prison les médecins s'ils enfreignaient l'une des règles. Cette lettre a suscité la crainte des médecins, qui doivent parfois choisir entre sauver une vie et sauver leur peau lorsqu'une situation se situe dans une zone grise des règles. Voici quelques exemples...
Un médecin décrit une patiente enceinte qui n'avait pas d'autre choix que de le rester. "Nous devons maximiser toutes les options de prise en charge médicale avant de pouvoir proposer une quelconque procédure d'interruption de grossesse. Et je me suis dit : et si elle ne voulait pas attendre aussi longtemps parce qu'elle pourrait avoir une crise cardiaque et mourir ? Je ne sais pas. À quel moment peut-on agir ?"
Le rapport évoque également le cas d'une femme qui est tombée enceinte alors qu'elle souffrait d'insuffisance rénale et de problèmes cardiaques. "Le cardiologue et le néphrologue ne voulaient pas écrire dans le dossier qu'ils pensaient que la patiente risquait de mourir parce qu'ils savaient ce que cela impliquait, et qu'ils ne voulaient pas que leur nom figure dans son dossier. En conséquence, elle n'a pas consulté de spécialiste avant 16 semaines, et a failli mourir au cours du processus", selon un autre spécialiste interrogé.
Autre conséquence pour les femmes enceintes : les rendez-vous avec les médecins au cours du premier trimestre sont fréquemment repoussés. Pourquoi ? Parce que le risque de fausse couche est plus élevé au cours du premier trimestre et que les professionnels de la santé veulent "éviter que les soins prodigués à la suite d'une fausse couche soient considérés à tort comme un avortement, en violation des interdictions", selon le rapport. Ainsi, au lieu du rendez-vous habituel à 8 semaines, beaucoup sont repoussés à 12 semaines.
Dans d'autres cas extrêmes, certaines femmes sont contraintes de subir une césarienne pour vider leur utérus et éviter les infections, au lieu de bénéficier d'une procédure d'avortement ou de médicaments.
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Les césariennes sont des interventions chirurgicales abdominales majeures et comportent beaucoup plus de risques qu'une procédure d'avortement. "La césarienne est l'intervention la moins sûre, que ce soit en début de grossesse ou à terme, à la date prévue de l'accouchement", a déploré le Dr Freehill.
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Le rapport décrit ce qui est arrivé à une femme enceinte de 20 semaines qui souffrait d'un trouble de la procréation médicalement assistée (PROM) qui n'aboutirait pas à une grossesse viable. Mais au lieu de procéder à un curetage, qui pourrait être interprété à tort comme un avortement, elle a dû subir une césarienne. Finalement, cela l'a exposée à un risque plus élevé pour les grossesses futures et a entrainé le fait qu'elle ne pouvait plus accoucher "naturellement", selon un médecin.
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Bien que la Lousiane autorise des exceptions pour les grossesses ectopiques – qui ne sont pas viables et menacent la vie des femmes – le rapport a révélé que les cliniciens prennent du temps et des mesures supplémentaires pour être sûrs à 100 % que leurs décisions ne peuvent pas être interprétées comme des avortements réguliers, ce qu'ils doivent prouver au-delà de tout doute raisonnable. Cela retarde le traitement. "J'aurais pu mourir. J'aurais vraiment pu mourir", a déclaré aux auteurs du rapport une patiente dans cette situation.
Certaines femmes ayant subi une grossesse non désirée sont prêtes à se rendre hors de l'État pour se faire avorter. Pour les femmes plus aisées, cela ne pose guère de problème. Mais pour les femmes défavorisées, le coût, la durée du voyage, la recherche d'une garde d'enfants, etc. deviennent beaucoup plus difficiles. "J'ai eu tellement de patientes qui ont fini par renoncer à l'avortement parce qu'elles ne pouvaient pas s'absenter de chez elles pendant trois ou quatre jours", a déclaré un médecin.
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Les interdictions d'avortement ont également endommagé les relations en raison des craintes juridiques. "J'espère que [mes patientes] me font encore confiance, mais il est difficile de faire confiance quand on vous dit : 'Ce sont des options, mais je ne peux pas vous aider. Vous devez vous débrouiller toute seule' ", a déclaré un médecin. D'autres refusent même de donner des informations par peur.
Les médecins notent également que de plus en plus de petites cliniques transfèrent leurs patientes vers les grands hôpitaux urbains. Là encore, c'est parce qu'elles craignent les perceptions erronées et "ne veulent pas s'en occuper". Cela fait grimper les coûts des soins de santé et entraîne des retards supplémentaires dans les soins d'urgence, pour tout le monde.
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Ces dilemmes moraux sont très pénibles pour certains médecins, et ils auront probablement des répercussions à long terme sur le personnel de santé de l'État de Louisiane. Ainsi, ces médecins pourraient tout simplement plier bagage et partir dans un autre État où ils pourront travailler comme ils l'entendent, au détriment de toutes les patientes enceintes. De même, les nouveaux arrivants pourraient éviter de se former dans cet État.
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