Existe-t-il des biais dans la sélection des lauréats du Prix Nobel ?
Entre l’écrivaine sud-coréenne Han Kang en littérature et les scientifiques américain et britannico-canadien John Hopfield et Geoffrey Hinton en physique, entre autres, le Prix Nobel a une nouvelle fois fait honneur à des figures éminentes des arts et des sciences.
Beaucoup d’appelés et peu d’élus : chaque année, de nombreux candidats de tous horizons ont pour objectif d’être « nobellisés », et seul un faible nombre d’entre eux parviennent à remporter le précieux sésame.
Mais comment les vainqueurs sont-ils vraiment sélectionnés ? Et les procédures d’attribution sont-elles totalement impartiales ? D’après une enquête du magazine Nature, les choses ne seraient pas si simples.
Pour mener à bien leur analyse, les journalistes ont utilisé des données couvrant les 646 récipiendaires des 346 Prix Nobel scientifiques (physique, chimie et médecine) depuis la création de la récompense. Pour rappel, il n’existe pas de Prix Nobel de mathématiques.
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Sans surprise, les hommes ont été historiquement très favorisés dans l’octroi des récompenses. Durant l’intégralité du XXe siècle, seuls 11 Prix Nobel ont été attribués à des femmes dans ces trois disciplines.
La situation des femmes scientifiques s’est légèrement améliorée dans la période récente, puisque l’on compte 15 lauréates depuis l’an 2000, soit plus en un quart de siècle qu’au cours de tout le siècle précédent.
L’article recommande de se lancer tôt dans un projet « nobellisable », car la durée moyenne entre la présentation d’un travail scientifique remarquable et la réception d’un prix est passée de 14 ans avant les années 1960 à 29 ans dans les années 2010.
« Vous pouvez augmenter considérablement vos chances d'obtenir un prix Nobel en travaillant dans le laboratoire d'un scientifique qui l'a déjà obtenu ou qui l'obtiendra dans le futur, ou en travaillant avec quelqu'un dont les mentors l'ont obtenu », ajoute l’article.
« On pourrait s'attendre à ce que de nombreux groupes distincts émergent en tant que familles académiques distinctes. Or, il s'avère que presque tous les lauréats du prix Nobel partagent un lien, aussi distant soit-il, comme le montre ce réseau tentaculaire », poursuivent les auteurs, infographie à l’appui.
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L’article note que 702 des 736 scientifiques lauréats d’un Prix Nobel jusqu’en 2023 font ou faisaient partie de la « même famille académique », en étant reliés par un lien académique à un moment donné de leur parcours.
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Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cet état de fait, la plus simple étant que le talent attire naturellement le talent, en science comme dans les autres domaines.
Une explication plus critique serait que les lauréats précédents ont tendance à promouvoir leurs successeurs, les comités Nobel tenant un rôle-clé dans ces nominations.
L’analyse révèle en outre la surreprésentation de certains champs de recherche, comme la physique des particules, la biologie cellulaire, la physique nucléaire et les neurosciences – qui totalisent chacune au moins 10 % des Prix Nobel scientifiques entre 1995 et 2017.
De manière plus insolite, les auteurs ont relevé que les prénoms commençant par les lettres « A » et « J » sont surreprésentés parmi les lauréats, avec respectivement 62 et 69 vainqueurs chacune.
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Interrogée par Nature sur d’éventuels biais de sélection des récipiendaires, l’académie Nobel a déclaré « travailler en permanence à l'amélioration du processus de nomination ».
En effet, le comité a pour « but d'élargir les nominations en termes de s e x e, de nationalité et de sujets dans les domaines de la physique, de la chimie, de la physiologie ou de la médecine ». De quoi faire taire les sceptiques ?