La baisse de la productivité en France : quelles explications et quelles solutions ?
Croissance atone, remontée du chômage, déficit public plus élevé que prévu… la conjoncture économique est particulièrement morose en France cette année 2024. Une situation qui s’explique en partie par un facteur longtemps ignoré.
Selon une étude récente de la Banque de France, la productivité de l’économie française avait diminué de 5,2 % mi-2023 par rapport à la fin de l’année 2019, qui avait précédé la pandémie de Covid-19.
Selon la même étude, la baisse de productivité s’élevait même à 8,5 % par rapport à l’hypothèse où elle aurait continué à croître au même rythme que les années précédentes entre 2019 et 2023.
Cette tendance est visible dans d’autres pays d’Europe, comme l’Espagne ou l’Allemagne, mais dans une moindre mesure. Dans l’ensemble de la zone euro, la baisse de la productivité est limitée à 2,4 % sur la même période, toujours selon la Banque de France.
Comme l’indique Sarah Lemoine, de ‘France Info’, la productivité « mesure l’efficacité moyenne par travailleur pour produire des biens et des services. Pour la calculer, on prend la richesse produite, et on la divise par le nombre de personnes en emploi. »
L’évolution actuelle marque la fin d’une tendance de long terme : « depuis 150 ans, la productivité a toujours augmenté, ce qui a permis à tous les salariés de consommer plus, d’améliorer leurs conditions de vie », rappelle Dorian Roucher, de l’Insee, cité par ‘Le Point’.
Quelles sont les explications de ce phénomène ? Certains facteurs sont liés à la main d’œuvre, tandis que d’autres ont pour origine des caractéristiques du système économique français.
Tout d’abord, le développement massif de l’apprentissage a eu un impact négatif sur la productivité, estime la Banque de France. Selon le ministère du Travail, le nombre d’apprentis est passé de 432 000 en janvier 2019 à un million en décembre 2023.
« Dans les statistiques, les apprentis sont comptabilisés par l’Insee comme des travailleurs à plein temps, alors que dans les faits, ils consacrent 25 % de leur temps à se former et qu’ils sont moins expérimentés. Ils sont donc moins productifs en moyenne que l’ensemble des salariés », précise l’économiste Bruno Ducoudré pour ‘France Info’.
Cependant, le développement de l’apprentissage reste une bonne nouvelle pour l’insertion professionnelle des apprentis. Et la stabilisation actuelle de leur nombre devrait limiter l’impact futur sur la productivité.
Autre facteur lié à la main d’œuvre : la baisse du chômage depuis 2019, qui a fait revenir dans l’emploi des personnes moins qualifiées ou moins expérimentées. Les économistes soulignent néanmoins que leur réinsertion soutient la productivité à moyen terme.
Cependant, une partie de l’évolution négative de la productivité reste inexpliquée. Plusieurs facteurs supplémentaires ont été avancés par les experts.
Ainsi, Gilles Le Moëc, économiste chez Axa, dénonce l’absentéisme au travail comme facteur d’érosion de la productivité, tandis que Dorian Roucher cite des éléments conjoncturels, comme la baisse de la production des centrales nucléaires sans baisse de leurs effectifs.
Cité lui aussi par ‘Le Point’, l’économiste Olivier Redoulès mentionne le gel de l’économie pendant la pandémie, durant laquelle toutes les entreprises ont pu bénéficier d’aides de l’État.
« On a peut-être trop freiné ce processus de réallocation des moyens de production : les ressources qui restent dans les entreprises moins productives manquent aux entreprises plus productives », précise l’expert.
Ce problème rejoint plus généralement celui, souligné par l’ensemble des économistes, du défaut d’investissement dans les nouvelles technologies en France et en Europe.
Une situation qui contraste nettement avec celle des États-Unis, qui investissent massivement dans ces technologies et dont la productivité n’a pas cessé d’augmenter ces dernières années. L’Europe risque-t-elle de décrocher ?
Tout dépend de l’évolution des prochaines années, qui montreront si le tassement de la productivité est un phénomène temporaire ou durable. Dans le second cas, le niveau des salaires pourrait aussi stagner, avertit Olivier Redoulès.
En attendant, les conséquences sur l’économie française se font ressentir dès maintenant, avec une croissance pour 2024 finalement prévue à moins de 1 % et une remontée du chômage qui compromet l’objectif de plein-emploi d’ici à 2027.
Moins d’activité et plus de chômage signifient moins de recettes fiscales et davantage de dépenses sociales. De manière logique, le déficit public de la France s’est élevé à 5,5 % de la richesse nationale en 2023, contre 4,9 % prévus initialement.
Que faire pour contrer la baisse de la productivité ? L’un des leviers mentionnés par les économistes est celui de la formation (initiale et continue) des salariés afin de renforcer leurs compétences.
Cependant, la fiscalité sur les entreprises et le travail peut désinciter à la formation, car les prélèvements absorbent une grande part des gains de productivité obtenus. La baisse des impôts n’étant pas à l’ordre du jour, l’équation s’annonce difficile pour l’économie française !