Derrière les grandes manifestations, la détresse silencieuse des agriculteurs français
Les agriculteurs français ont bloqué Paris et lancé plusieurs actions dans différentes régions de France ce lundi 29 janvier, contraignant le gouvernement à satisfaire certaines de leurs revendications. Que se passe-t-il pour déclencher cette mobilisation sans précédent ?
Les représentants de la profession ont dénoncé pêle-mêle des normes excessives, le manque d'accès à l'eau et la protection insuffisante des revenus face à la grande distribution. Mais c'est la fin prévue de l'avantage fiscal sur le diesel agricole qui a mis le feu aux poudres.
Territoire vaste, associé à une forte tradition paysanne et à une gastronomie réputée dans le monde entier, la France reste une puissance agricole de premier plan sur le continent européen.
Mais cette apparence flatteuse cache une réalité bien plus sombre : en France, peut-être plus qu’ailleurs, le métier d’agriculteur est en grande difficulté en ce début de XXIe siècle.
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Ce malaise est visible à la chute du nombre d’exploitations, qui aurait diminué d’environ 100 000 en dix ans pour atteindre le nombre de 389 000 en septembre 2022, selon ‘Courrier international’.
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Cette baisse est particulièrement marquée dans l’élevage : selon le même média, le nombre d’agriculteurs spécialisés dans la production laitière et de viande bovine a été réduit de 31% sur cette période.
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Cependant, la production totale augmente en France, tout comme le nombre de grosses exploitations (celles dont le chiffre d’affaires dépasse 250 000 euros par an et qui mesurent plus de 100 hectares).
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Il existe désormais deux mondes agricoles : celui des grosses exploitations très rentables, et celui des plus petites surfaces, notamment des fermes familiales, qui concentrent les difficultés économiques et sociales.
Une statistique glaçante traduit cette détresse : d’après une enquête de Santé publique France, un agriculteur se donne la mort tous les deux jours dans le pays.
L’étude parue en 2017 identifie plusieurs facteurs de risque : l’activité d’exploitation à titre individuel et exclusif, et la petite taille de la surface agricole (moins de 50 hectares).
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Les agriculteurs mettent souvent fin à leurs jours à la suite d’un élément déclencheur, comme un problème de santé, une mauvaise récolte liée à des aléas climatiques ou une épidémie qui ravage le bétail.
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Mais ce geste fatal tient presque toujours à des facteurs plus structurels, comme une charge de travail intense, la solitude, le surendettement et un ensemble de difficultés financières.
« On n’a même plus le temps de relever la tête », résume une exploitante interrogée par ‘Le Monde’, touchée par une série de chocs économiques, sanitaires et climatiques qui n’ont fait que s’accélérer ces dernières années.
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« La fièvre catarrhale en 2009 où on a perdu des vaches, les crises du lait, les sécheresses trois ans de suite, les grippes aviaires… », détaille la même personne. Sans oublier la forte volatilité des cours et des prix, qui rend les perspectives économiques plus incertaines.
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Car au-delà du climat et des maladies, c’est tout simplement le modèle économique de nombreuses exploitations françaises qui est de moins en moins soutenable, contraignant certains à exercer leur activité à perte.
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La Mutualité sociale agricole (MSA) de Gironde, le territoire du prestigieux vin de Bordeaux, a révélé dans un rapport que 34 % des agriculteurs de ce département avaient des revenus négatifs en 2021.
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Et la situation ne s’est pas améliorée ces dernières années. Ainsi, selon la même étude, 70 % des agriculteurs girondins vivaient en dessous du salaire minimum en 2021, contre 50 % en 2015.
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« Sur le chiffre d'affaires de 2022, j’ai perdu 190 000 euros alors que ça devait payer les charges, les emprunts et que ça devait me payer aussi », détaille Yohann Bardeau, un exploitant interrogé par ‘France 3 Aquitaine’. « Tous les mois, je travaille à perte et c’est ma compagne qui fait vivre le foyer », ajoute-t-il.
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« Aujourd'hui, je ferais mieux d’arrêter et de partir salarié, mais on se sent pieds et poings liés vu les emprunts qu’on a », conclut ce même agriculteur.
Autre élément du malaise dans le monde agricole : la solitude qui s’ajoute aux difficultés d’un métier frappé plus que d’autres par le célibat et le divorce.
Entre les charges, l’endettement et les incertitudes liées à l’activité, rares sont les candidats à la reprise de l’exploitation lorsqu’un agriculteur part à la retraite.
Consciente de la détresse croissante du monde agricole, la MSA a lancé Agri’écoute, un service d’aide pour les professionnels en difficulté avec une hotline téléphonique disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
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Depuis 2021, ce service a également mis en place une plateforme en ligne où il est possible de consulter un psychologue. N’hésitez pas si vous êtes vous-même concerné !
La plateforme vise aussi à sensibiliser les agriculteurs sur les situations à risque (difficultés financières ou professionnelles, décès dans la famille ou rupture amoureuse, isolement), et sur les propos qui doivent alerter sur les intentions d’une personne.
Tout n’est pas sombre, cependant, dans le monde agricole français. Entre le développement rapide du bio et l’arrivée de nouvelles générations, parfois issues d’un milieu différent, le métier se renouvelle progressivement et tente de sortir par le haut des difficultés qu’il traverse.
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Redoutant un embrasement semblable à celui du mouvement des Gilets jaunes à l'automne 2018, l'exécutif a écouté les demandes des agriculteurs. De quoi dissiper durablement le malaise de la profession ?