Hausse des crimes et des délits en 2022 : la France est-elle un pays de violences ?
Les faits de délinquance et de criminalité reviennent régulièrement occuper le devant de la scène médiatique, et le sujet de la délinquance et de la criminalité divise la population française comme peut-être aucun autre. Les violences ont-elles explosé en France ces dernières années ? Ou leur dénonciation n’est-elle qu’un discours politique qui s’appuie sur le miroir déformant des images ? Tentative d’explication.
Qu’il s’agisse des événements au stade de France au printemps 2022 ou de faits divers, les actes de violence font régulièrement les gros titres dans les médias français. Fantasme ou réalité, le phénomène fait désormais partie des principaux sujets de préoccupation de la classe politique et des citoyens.
La France reste par ailleurs hantée par le souvenir des attentats islamistes qui se sont succédé dans les années 2010, notamment l’attaque du Bataclan, l’attentat de Nice et plus récemment la décapitation du professeur Samuel Paty.
L’interprétation du phénomène est très variable d’un bord politique à l’autre. D’un côté, la droite impute les violences au laxisme de l’État et appelle à davantage de répression, l’extrême-droite faisant même explicitement le lien entre insécurité et immigration.
De l’autre côté, une grande partie de la gauche et l’extrême-gauche estime que le sentiment d’insécurité est largement véhiculé par des médias prompts à parler du moindre fait-divers. Depuis des années, certaines personnalités de gauche dénoncent la politique du tout-répressif, tout en estimant que la délinquance a aussi des causes sociales comme la pauvreté.
Alors, qu’en est-il réellement ? Malgré l’abondance des données à disposition, la délinquance et la criminalité sont des réalités changeantes et difficiles à appréhender objectivement. Les variations sont très différentes ces dernières années d’une catégorie de crime ou de délit à l’autre.
Selon les statistiques publiées en janvier 2023 par le ministère de l'Intérieur, la France a été le théâtre d'une résurgence de la délinquance en 2022. Le déconfinement aurait favorisé une reprise de la dynamique des crimes et délits observée pendant les années précédant la pandémie.
En baisse depuis une dizaine d’années (- 29 % chacun entre 2010 et 2019), les vols avec violence et les vols de véhicule avaient continué de refluer pendant la crise du Covid-19. Mais les vols de véhicule sont repartis à la hausse en 2022 (+ 9 %) tandis que les vols avec violence ont poursuivi leur baisse (- 4 %).
Après une baisse liée à l'obligation de rester chez soi pendant les confinements, les cambriolages de logements ont également repris en 2022, avec une hausse à deux chiffres (+ 11 %).
Les escroqueries, notamment en ligne, ont connu une hausse importante dans la période récente. 423 000 faits d’escroquerie ont été recensés par le ministère de l’Intérieur en 2021, une hausse de 15 % par rapport à 2020 et de 32 % en cinq ans. Un chiffre qui a encore augmenté de 8 % l'an dernier...
Les statistiques des violences s.xuelles ont également explosé. 75 800 faits de ce type ont été déclarés en 2021, soit 18 000 de plus qu’en 2020 et deux fois plus qu’en 2016. La tendance s'est malheureusement poursuivie en 2022 avec une nouvelle augmentation de 11 %. Près de la moitié de ces faits concernaient des viols ou tentatives de viols, les autres se rapportant à d’autres types de violences s.xuelles.
La hausse spectaculaire des dernières années est en partie imputable à la déclaration de faits plus anciens, selon le ministère. La libération de la parole consécutive à la vague #metoo y est probablement pour quelque chose.
Mais ces violences ne sont pas les seules à connaître une dynamique haussière. Le nombre de coups et blessures volontaires hors du cadre familial a augmenté de 14 % en 2022.
Une hausse qui atteint même le chiffre inquiétant de 17 % en un an pour les actes dits de « violence intrafamiliale ». Ces violences ont été favorisées par les confinements successifs et il est peu probable que tous les actes soient déclarés.
Une évolution des actes de violence ces dernières années est leur concentration croissante à l’égard des forces de l’ordre et, de manière plus surprenante, des pompiers.
Interrogé sur l’évolution des violences depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, cité par ‘Ouest France’ a expliqué leur progression par la hausse « du nombre de victimes déclarées de violences intrafamiliales et de violences s.xuelles ». Une tendance liée selon lui au « contexte de la libération de la parole et de la meilleure prise en considération de ce sujet par les forces de l’ordre ».
Quoi qu’il en soit, la délinquance et la criminalité sont des réalités difficiles à mesurer avec précision, entre les faits non déclarés ou déclarés tardivement, et la nécessaire distinction entre tentatives et actes réellement commis.
La délinquance et la criminalité ne sont pas réparties de manière homogène sur l’ensemble du territoire. Selon une étude du ministère, les vols sans violence sont proportionnellement 12 fois plus nombreux dans les communes de plus de 100 000 habitants que dans celles de moins de 1 000 habitants, une différence qui va de 1 à 75 s’agissant des vols violents sans arme.
Sans surprise, les zones les plus touchées sont les quartiers touristiques (sans que les touristes ne soient les seules victimes) et les abords des gares. Les territoires ruraux sont en revanche relativement épargnés.
Mais quelle perception les citoyens ont-ils de ce phénomène ? Existe-t-il un sentiment d’insécurité disproportionné par rapport à l’insécurité réelle ? Les enquêtes réalisées auprès des Français montrent qu’environ 20 % d’entre eux éprouvent un sentiment d’insécurité.
Mais ce ressenti est variable d’une catégorie de la population à l’autre : selon les données de l’Insee, il est surreprésenté chez les personnes au chômage (28 %), les femmes (27 %), les étrangers (24 %) et les jeunes de 14 à 29 ans (23 %).
Outre l’impact des médias, une autre explication est régulièrement avancée pour expliquer le décalage supposé entre sentiment d’insécurité et insécurité réelle : les incivilités. Des actes comme le tapage nocturne ou la dégradation de biens publics, qui ne sont pas forcément comptabilisés dans les statistiques de la délinquance, mais qui altèrent la perception que les citoyens ont de leur environnement.
Certaines images-chocs, comme le passage à tabac du jeune Yuriy à Paris début 2021, ont également pu contribuer à ancrer l’idée selon laquelle le territoire français était devenu dangereux.
Enfin, le seuil de tolérance à la violence aurait baissé dans un contexte général de paix depuis plus de 75 ans. La perte d’habitude de la violence entraînerait une moindre acceptation de celle-ci et un développement plus rapide du sentiment d’insécurité.
Certains faits criminels se maintiennent à un niveau élevé ou ont connu une hausse importante ces dernières années. Mais les historiens s’accordent à dire que les sociétés occidentales contemporaines sont moins violentes sur le temps long, ne serait-ce que grâce à la raréfaction des guerres conventionnelles et à la professionnalisation des armées.
Quelle est la réponse de l’État face à la délinquance et aux violences ? De nombreuses lois visant à lutter contre l’insécurité se sont succédé ces vingt dernières années. Mais les effectifs des forces de l’ordre sont également sous tension sur fond de réduction des dépenses publiques.
Encore une fois, le clivage gauche-droite ressurgit. Pour les uns, la politique des gouvernements successifs se caractérise par le tout-répressif : état d’urgence, élargissement des moyens d’action des forces de l’ordre, alourdissement des peines... Pour les autres, l’État serait coupable de laxisme, avec des peines insuffisamment appliquées et un abandon des policiers par leur hiérarchie.
Ni inexistante ni en croissance exponentielle, la violence en France, nous l’avons vu, est une réalité complexe et mouvante. Mais elle reste un sujet inflammable politiquement, avec des visions très différentes du phénomène et des solutions à y apporter. La seule certitude est que le sujet va continuer à faire parler de lui ces prochaines années !