La France devient le premier pays au monde à inscrire l'IVG dans la Constitution
Le 4 mars 2024 restera une journée historique pour le droit des femmes en France. Près de 50 ans après la dépénalisation de l'avortement, le pays est devenu le premier au monde à graver l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans le marbre de la Constitution.
Les parlementaires des deux chambres (députés et sénateurs) se sont réunis au Congrès de Versailles pour voter l'inscription dans la Constitution de la "liberté garantie" de recourir à une IVG. Un total de 780 parlementaires ont voté en sa faveur. Pour être adopté, le projet de loi nécessitait la majorité des trois cinquièmes du Congrès.
« Aujourd'hui, la France a adressé un message historique au monde entier : le corps des femmes leur appartient et personne n’a le droit d’en disposer à leur place. C'est une deuxième victoire pour Simone Veil et pour toutes celles qui ont ouvert la voie », a déclaré le Premier ministre Gabriel Attal sur X, à l'issue du Congrès.
Au moment de l'annonce du résultat du scrutin, des centaines de personnes s'étaient réunies au Trocadéro à Paris, pour vivre un moment historique et empreint d'émotion.
Pour célébrer le vote du Congrès, la tour Eiffel a été illuminée, et l'inscription "Mon corps, mon choix" a été inscrit en lettres d'or sur le monument.
Au même moment, un rassemblement contre l'avortement était organisé à quelques mètres du château de Versailles, où se tenait le Congrès. De quoi nous rappeler l'importance de constitutionnaliser les droits fondamentaux, face aux menaces qui planent.
Désormais, la France a érigé un bouclier autour du droit à l'IVG. Le président de la République Emmanuel Macron a annoncé qu'une "cérémonie de scellement" serait organisée le 8 mars prochain, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes.
Il s'agira d'une " cérémonie populaire la plus ouverte possible pour marquer l’aboutissement de ce combat collectif", a précisé l'Élysée auprès de BFMTV.
L'inscription de l'IVG dans la Constitution française n'a pas été sans difficultés. Au Sénat, majoritairement à droite, les opposants au projet de loi étaient nombreux. Finalement, le texte avait récolté 267 voix pour, et 50 contre au Palais du Luxembourg, le 28 février dernier.
Les sénateurs avaient d'abord dit "non" à la constitutionnalisation du droit à l'IVG en octobre 2022, avant de finalement voter "pour" en février 2023 (photo) après une modification du texte de la proposition de loi.
De son côté, l'Assemblée nationale avait donné son feu vert en janvier 2024, en votant en faveur de l'inscription de l'IVG dans la Constitution. 493 députés ont voté en faveur du texte en première lecture, et 30 ont voté contre.
Pour inscrire l'IVG dans la Constitution, une proposition de loi avait d'abord été conduite par des députés LFI et Renaissance à l'Assemblée nationale en 2022. Mais d'après l'article 89 de la Constitution, lorsqu'une proposition de loi concernant sa révision vient du Parlement, sa ratification ne peut se faire que par référendum.
Pour éviter un référendum, plusieurs députés avaient exhorté l'ancienne Première ministre Elisabeth Borne et son gouvernement de présenter le texte de révision dans un projet de loi.
Comme un symbole, c'est finalement à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes que le chef de l'État avait annoncé le projet de loi pour réviser la Constitution. Le 8 mars 2023, Emmanuel Macron rendait hommage à l'avocate féministe Gisèle Halimi, lorsqu'il a rappelé son intention de renforcer le droit à l'avortement en l'inscrivant dans la Constitution.
Une fois adopté par la majorité des députés et des sénateurs, le projet de loi a pu être ratifié par les votes des parlementaires au Congrès du Parlement à Versailles, comme le prévoit l'article 89.
La loi Veil garantit en France le droit à l'avortement depuis le 17 janvier 1975. Bien que ce droit soit déjà inscrit dans la loi française, et qu'il n'était aujourd'hui pas menacé en France, la décision de la Cour suprême américaine de le révoquer en juin 2022 a bousculé nos certitudes.
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« Certes, ce droit n'est pas menacé aujourd'hui, mais quand il le sera, il sera trop tard pour le protéger », a déclaré la sénatrice écologiste Mélanie Vogel (photo), autrice d'une première proposition de loi au Sénat, qui visait également à inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution.
Comme l'exemple des États-Unis nous l'a prouvé dernièrement, la loi garantissant l'accès à l'IVG n'est pas à l'abri d'être remise en question un jour, voire d'être modifiée. La graver dans la Constitution permet à la fois de la protéger, et d'affirmer son importance dans notre société.
Ce n'est pas la première fois que la Constitution est révisée en France. Par exemple, l'égalité entre les hommes et les femmes a été inscrite dans la Constitution en 1999, tout comme l'interdiction de la peine de mort, en 2007.
Le texte initial de la proposition de loi, votée le 24 novembre 2022, concernait l'avortement et la contraception. Mais après un accord entre La France Insoumise (LFI) et la majorité présidentielle, l'article avait été réécrit pour ne concerner que l'IVG.
Après l'adoption de ce texte à l'Assemblée nationale, la présidente du groupe LFI, Mathilde Panot, avait salué un vote « historique » : « Je suis très émue, à la fois de ce vote, et de ce signal historique que l'Assemblée nationale s'honore à envoyer à toutes les femmes de notre pays, mais aussi à l'ensemble des femmes du monde », a-t-elle déclaré devant ses collègues députés.
Si le droit à l'IVG est installé en France depuis plus de 45 ans, des défauts d'accessibilités ont souvent été pointés du doigt. Par exemple, un praticien peut, par conviction, refuser de pratiquer une IVG. La fermeture des maternités, qui sont aussi des centres d'avortement, peut également mettre en péril l'accès des femmes à l'IVG. Plusieurs avancées ont eu lieu au cours de l'année 2022 pour pallier ces limites.
En février 2022, le Parlement avait voté en faveur d'une proposition de loi prévoyant l'allongement de 12 à 14 semaines du délai de l'interruption volontaire de grossesse. Cette loi permet également aux sages-femmes de pratiquer l'IVG instrumentale dans des établissements de santé. Elle a pour but de rendre l'avortement encore plus accessible qu'il ne l'est aujourd'hui, en France.