Économie : l’Europe est-elle en train de décrocher par rapport aux États-Unis ?
Sur les deux rives de l’Atlantique, la presse se fait l’écho d’un décrochage économique de l’Europe par rapport aux États-Unis. Qu’en est-il vraiment ?
De fait, les États-Unis ont enregistré une croissance de l’activité de 2,5 % en 2023, contre 0,5 % pour l’Union européenne à Vingt-Sept, note L’Opinion. Et la tendance devrait se poursuivre.
D’après les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), citées par Le Figaro, la croissance devrait atteindre 2,7 % aux États-Unis, contre 1,1 % dans l’UE et même 0,8 % dans la zone euro. Pour 2025, les anticipations restent légèrement supérieures pour les États-Unis.
Ce décalage s’inscrit dans le long terme. D’après les données de la Banque mondiale, citées par Le Monde, le produit intérieur brut (PIB) américain était supérieur de 30 % à celui de la zone euro en dollars courants en 2010, et de 87 % en 2022.
Le quotidien du soir cite aussi une note du consultant McKinsey, qui souligne que la croissance annuelle moyenne du PIB par habitant a été deux fois plus élevée aux États-Unis (1,7 %) que dans l’Union européenne (0,8 %).
Une étude de l’European Centre for International Political Economy, parue en juillet 2023, a comparé le PIB par habitant des pays européens avec ceux des États américains pris individuellement. Avec des résultats sans appel.
Alors que les pays du sud et de l’est de l’Europe arrivaient tous derrière l’État fédéré le plus pauvre, le Mississippi, la France parvenait entre l’Idaho (48e sur 50) et l’Arkansas (49e), et l’Allemagne entre l’Oklahoma (38e) et le Maine (39e).
Soutenus par la force de frappe de leurs entreprises technologiques, par les plans de relance de l’administration Biden et par leur indépendance énergétique, les États-Unis s’affirment plus que jamais comme la première puissance économique mondiale.
Par ailleurs, le boom des dépenses militaires mondiales depuis le début de la guerre en Ukraine profite davantage aux États-Unis, car de nombreux États s’approvisionnent en priorité auprès du pays qui est aussi la première puissance militaire au monde.
À l’inverse, l’Europe apparaît handicapée par des facteurs structurels, comme le vieillissement de sa population, le déficit d’investissement, la dépendance énergétique et des contraintes réglementaires sans équivalent dans le monde.
En 2023, le Wall Street Journal évoquait « une population vieillissante qui préfère le temps libre et la sécurité de l’emploi aux revenus » pour expliquer le retard européen. Les habitants du Vieux Continent auraient-ils une préférence pour les loisirs ?
Pour l’économiste Patrick Artus, de la banque Natixis, l’enjeu de la productivité est central pour expliquer le décrochage européen : la productivité par tête a augmenté de plus de 20 % aux États-Unis entre 2010 et 2024, contre environ 5 % pour la zone euro sur la même période.
L’expert note aussi que l’investissement en recherche-développement (R&D) est plus élevé aux États-Unis sur toute la période. En 2022, il s’élevait par exemple à près de 3,5 % aux États-Unis, contre un peu moins de 2,3 % dans la zone euro.
Quoi qu’il en soit, les chocs successifs (crise financière de 2008, pandémie de Covid-19, crise énergétique et du pouvoir d’achat liée à la guerre en Ukraine) ont laissé des stigmates plus profonds dans l’ancien monde que dans le nouveau.
Locomotive économique de l’Europe, l’Allemagne est empêtrée dans une crise énergétique liée à la sortie simultanée du nucléaire et du gaz russe, tandis que son industrie est touchée de plein fouet par la concurrence chinoise.
Le pays a connu une légère récession en 2023, avec des conséquences négatives sur tout le continent. Et les perspectives semblent à peine meilleures pour l’année en cours.
Cependant, la variation du taux de change entre l’euro et le dollar doit amener à relativiser l’idée d’un écart massif et croissant entre les deux blocs économiques occidentaux.
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Une étude de l’institut européen Bruegel rappelle que le PIB de l’UE était inférieur d’un tiers à celui des États-Unis en 2000, puis légèrement supérieur en 2008 et à nouveau inférieur d’un tiers en 2022. Comment expliquer de telles variations qui ne reflètent pas celles de l’activité ?
La réponse est simple : l’euro valait 0,92 dollar en 2000, puis 1,47 en 2008 avant de retomber à 1,05 dollar en 2022. Les variations des prix expliquent donc en partie (mais pas entièrement) l’avance affichée par l’économie américaine.
Exprimé en parité de pouvoir d’achat (en neutralisant les variations du taux de change), l’écart entre les deux économies apparaît beaucoup plus limité, le PIB par habitant passant d’un niveau identique en 2000 à 4 % de moins pour l’UE en 2022.
De même, l’accélération de la productivité américaine s’explique par le plus grand nombre d’heures travaillées dans ce pays. Car, comme le relève l’institut Bruegel, la productivité par heure travaillée était équivalente en France, aux États-Unis et en Allemagne en 2022.
« Certains pays de l'ouest et du nord de l'Union européenne sont au moins aussi productifs que les États-Unis en termes de production par heure travaillée, mais les Européens semblent préférer les loisirs aux revenus », conclut cet institut, dont les travaux sont cités par Slate.
Ce décalage pose plus généralement la question du modèle économique souhaitable pour nos sociétés : faut-il aller vers toujours plus de croissance par le travail, ou privilégier une vie plus sobre et sacrifier du pouvoir d’achat pour s’adapter aux impératifs écologiques actuels ?