Les montagnes russes de l'énergie : pourquoi l'énorme industrie solaire chinoise est en difficulté
Selon le cabinet de conseil Wood Mackenzie, l'industrie solaire chinoise occupe la première place à chaque stade de la chaîne d'approvisionnement mondiale, avec une capacité de production près de cinq fois supérieure à celle du reste du monde réuni. La croissance de ce secteur est si importante que la Chine peut produire plus du double de modules solaires que ceux qui sont installés chaque année.
Un rapport de pvInsights indique que le prix mondial des modules solaires est tombé à un niveau record de moins de 10 cents par watt en raison de leur surproduction, ce qui réduit considérablement le coût de l'énergie propre. Une excellente nouvelle pour les consommateurs et pour l'environnement, mais pas forcément pour les producteurs.
La croissance rapide des capacités de production a largement dépassé la demande mondiale, ce qui a entraîné une baisse des prix du polysilicium, des cellules et des modules finis par rapport à leur coût de production. Selon Wood Mackenzie, les recettes des exportations chinoises d'énergie solaire ont diminué de 5,6 % en 2023, malgré une hausse considérable des volumes.
Mais la quantité d'énergie solaire installée dans le monde croît de manière exponentielle, alors que la majeure partie de la demande n'est pas encore satisfaite. Selon The Economist, la capacité solaire installée double tous les trois ans et elle est multipliée par dix environ tous les dix ans. D'ici au milieu des années 2030, on peut donc s'attendre à ce que le solaire devienne la principale source d'énergie pour produire de l'électricité sur Terre.
Comme le souligne The Economist, même si la Chine ne peut pas contrôler la lumière du soleil comme les producteurs de l'OPEP peuvent fixer le prix du pétrole, l'approvisionnement de la grande majorité de la production solaire auprès d'un pays réputé hostile aux États-Unis pose certains problèmes. C'est pourquoi Washington a augmenté les droits de douane sur les panneaux solaires chinois. L'Inde a également imposé des droits de douane et l'Union européenne pourrait en faire autant.
En mai 2024, après l'annonce de la mise en place des nouveaux droits de douane par les États-Unis, le journal d'État China Daily a qualifié cette mesure d'"acte clair de protectionnisme". Li Shuo, analyste à l'Asia Society, a déclaré à Climate Home que le problème n'est pas la surabondance de panneaux solaires, mais "l'incapacité du monde à déployer ces équipements".
À l'approche des élections présidentielles américaines de 2024, la menace d'un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche est une autre source de préoccupation. The Economist prédit qu'un Trump favorable aux combustibles fossiles pourrait freiner l'adoption de l'énergie solaire aux États-Unis. Sa politique est également très hostile à la Chine, ce qui pourrait entraîner une nouvelle hausse des droits de douane.
Longi Green Energy Technology et d'autres grandes entreprises chinoises du solaire telles que Trina Solar, JA Solar et Jinko Power ont vu le cours de leurs actions chuter brutalement (environ 60 %). Elles ont commencé à licencier du personnel pour faire face à la pression intense du marché. Les entreprises plus petites sont confrontées à de plus grandes difficultés encore. Par exemple, Lingda a annulé son projet d'usine d'une valeur de 1,3 milliard de dollars, selon The Economist.
Malgré ces difficultés, les leaders chinois du solaire continuent d'investir dans des améliorations technologiques et d'augmenter leur production, dont la capacité devrait atteindre 1700 gigawatts d'ici à 2026, selon les prévisions de Wood Mackenzie. Un chiffre en hausse par rapport aux quelque 1200 gigawatts de 2023.
Comme le rapporte Bloomberg, ces acteurs fournissent déjà plus d'énergie que les grandes compagnies pétrolières mondiales. "À l'heure actuelle, sept entreprises chinoises détiennent une part plus importante de la source d'énergie du XXIᵉ siècle que les sept sœurs du pétrole qui ont dominé le XXᵉ siècle", indique ce média, qui rappelle qu'un panneau solaire peut produire de l'énergie pendant des années, alors que le pétrole extrait du sol n'est utilisable qu'une seule fois.
Comme le souligne le New York Times, des années de fabrication, de soutien gouvernemental, de bas salaires et d'électricité bon marché (encore largement basée sur le charbon) ont donné à la Chine un énorme avantage en termes de coûts. Dans un rapport publié en janvier, la Commission européenne a calculé que les entreprises chinoises pouvaient fabriquer des panneaux solaires pour 16 à 18,9 cents par watt de capacité de production. En revanche, le coût pour les entreprises européennes est de 24,3 à 30 cents par watt et d'environ 28 cents pour les entreprises américaines.
Usha Haley, de l'université de l'État de Wichita, note que les autorités municipales et régionales chinoises soutiennent massivement l'industrie solaire locale, notamment sous la forme de terrains et d'électricité gratuits, ainsi que de prêts à taux zéro, couvrant jusqu'à 65 % des coûts de l'entreprise dans certains cas. Elle a également déclaré à The Economist que ce soutien semble être devenu encore plus généreux récemment.
Outre ses exportations, la Chine est aussi très en avance concernant l'installation de panneaux solaires sur son sol. Durant la seule année 2023, le pays en a installé plus que les États-Unis dans toute leur histoire, selon le New York Times. Pourquoi ? Parce qu'ils ont commencé à le faire il y a vingt ans, afin de devenir moins dépendants des importations d'énergie.
L'économie chinoise reposait autrefois sur la fabrication de vêtements, de meubles et d'appareils électroménagers, mais elle s'est désormais tournée vers le nouveau "trio" panneaux solaires / voitures électriques / batteries au lithium pour monter en gamme et se diversifier.
Mais dans un contexte de difficultés financières pour les autorités locales et de résistance internationale accrue, des signes d'une réévaluation stratégique sont visibles. Selon The Economist, le dirigeant chinois Xi Jinping a insisté sur le fait que les investissements devaient "avoir leurs propres mérites", laissant entendre une possible fin du surinvestissement dans des secteurs tels que l'énergie solaire.
En effet, la pression sur les prix est en train de se retourner contre certaines entreprises. Citant Jenny Chase, de BloombergNEF, The Economist prédit une période de consolidation au sein de l'industrie solaire chinoise, caractérisée par de légers bénéfices occasionnels, suivis de baisses importantes et de faillites d'entreprises, un cycle qu'elle appelle les "montagnes russes de l'énergie solaire".