Déclaration commune de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie : un premier pas vers la paix au Caucase ?
Les tensions entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan sont fortes depuis que ce pays a repris par la force la région du Haut-Karabakh, reconnue internationalement comme un territoire azerbaïdjanais, mais dont l'Arménie avait de facto assuré l'indépendance. Cependant, les deux États ont publié une déclaration commune le 7 décembre, qui devrait constituer un premier pas vers la normalisation de leurs relations.
Selon 'Reuters', les deux pays ont libéré les soldats qu'ils avaient fait prisonniers. Et l'Arménie aurait promis de ne pas entraver la candidature de l'Azerbaïdjan à l'organisation de la prochaine conférence des Nations unies sur le changement climatique.
En outre, selon le média arménien 'Aremenpress', le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, souhaite inviter prochainement à Washington les ministres des Affaires étrangères des deux pays pour entamer des pourparlers de paix.
Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, s'est longtemps montré réticent à négocier avec l'Arménie, mais il a récemment assoupli sa position.
Le 16 novembre dernier, l’Azerbaïdjan avait officiellement refusé de participer aux pourparlers de normalisation de la situation avec l’Arménie, organisés sous l’égide des États-Unis.
« Nous estimons qu'il n'est pas possible d'organiser la réunion proposée au niveau des ministres des Affaires étrangères de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie à Washington le 20 novembre 2023 », avaient déclaré les autorités de Bakou dans un communiqué cité par ‘France 24’.
L’Azerbaïdjan avait jugé que le Secrétaire d’État adjoint des États-Unis, James O’Brien, avait fait des « remarques unilatérales et partiales » à propos du conflit en cours lors d’une audition devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, le 15 novembre.
« Rien ne sera normal avec l'Azerbaïdjan après les événements du 19 septembre tant que nous ne verrons pas de progrès sur la voie de la paix », avait déclaré O’Brien, cité lui aussi par ‘France 24’.
Cette position ferme de l'Azerbaïdjan avait fait échouer toutes les tentatives précédentes de normalisation du conflit qui couvait dans la région du Caucase.
Entre-temps, l'Arménie, qui a perdu le Haut-Karabakh lors des affrontements, a continué à appeler à la paix, voyant qu'elle n'avait aucune chance de l'emporter militairement face à un Azerbaïdjan de plus en plus puissant. 'France 24' a rapporté les propos du Premier ministre arménien, Nikol Pachinian : "la volonté de notre pays de conclure un accord de paix avec l'Azerbaïdjan dans les mois à venir est inébranlable".
Plusieurs cycles de négociations ont déjà eu lieu sous la médiation de l’Union européenne. Mais le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a refusé de les poursuivre, dénonçant une « position biaisée » de la France.
Même si l'attention de la communauté internationale est plus focalisée sur l'invasion de l'Ukraine par la Russie et sur les affrontements entre Israël et le Hamas, le conflit du Haut-Karabagh a eu un impact considérable sur les populations civiles.
Après la chute de l’URSS, le Haut-Karabagh avait repoussé les Azerbaïdjanais et la république d’Artaskh y avait été fondée, reconnue uniquement par l’Arménie. Mais Bakou a repris la majorité de ce territoire en 2020.
Et comme l'Azerbaïdjan a repris le contrôle de l'ensemble de la région, la quasi-totalité de ses 120 000 résidents arméniens ont été contraints de fuir vers l'Arménie.
Ces événements ont conduit l’ambassadrice d’Arménie en France à évoquer sur ‘France Info’ une « épuration ethnique » qui serait opérée par l’Azerbaïdjan.
Dans un entretien avec ‘Libération’, l’ancien procureur général de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo (sur la photo), avait évoqué un « génocide en cours » avant même le début des hostilités, rappelant l’absence de ravitaillement suffisant dans l’enclave peuplée par des Arméniens.
Quel est le rôle du puissant voisin russe dans ce conflit ? Moscou est un allié historique de l’Arménie chrétienne face à l’Azerbaïdjan soutenu traditionnellement par la Turquie.
« En réalité, les Russes ont laissé faire l'Azerbaïdjan », estime Élodie Gavrilof, une spécialiste de l’histoire du Caucase, citée par ‘France Info’. Selon elle, « les relations entre la Russie et l'Arménie se sont dégradées avec l'arrivée au pouvoir en 2018 de Nikol Pachinian. »
« La Russie a eu besoin de l'Azerbaïdjan pour soutenir son invasion, mais aussi pour échapper aux sanctions et écouler son gaz, qui transite par le territoire azerbaïdjanais », ajoute-t-elle. L’Arménie s’est donc retrouvée isolée dans la région.
De son côté, l’Azerbaïdjan peut compter sur le soutien inconditionnel de la Turquie qui considère l’Arménie comme l’ennemi commun à leurs deux pays.
Dans un article paru dans ‘The Conversation’ en 2020, l’historienne Taline Ter Manissian indiquait que « le resserrement relativement récent des liens politiques et militaires entre la Turquie et l’Azerbaïdjan » était lié aux « récentes visées expansionnistes du président Erdogan qui, sur tous les fronts, de la Syrie à la Libye, semble poursuivre les chimères du défunt Empire ottoman. »
De son côté, l’Union européenne a une position ambiguë, défendant à la fois la préservation de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan et le droit à l’autodétermination du peuple arménien, comme le souligne le géographe Jean Radvanyi dans la revue ‘Le Grand Continent’.
« De plus, l’Azerbaïdjan étant un pays riche en pétrole et en gaz, les États membres de l’Union européenne sont réticents à l’offenser, préférant préserver leurs intérêts économiques », ajoute ce spécialiste de l’espace post-soviétique.
« L'Azerbaïdjan s'est trouvé dans une position de surpuissance à la fois face à Vladimir Poutine, qui est obligé de passer par ce pays pour exporter son gaz, mais aussi face à l'Europe, qui importe cette ressource d'Azerbaïdjan. », conclut Élodie Gavrilof.
Toutefois, la déclaration commune suggère que l'Azerbaïdjan tire parti de son avantage pour faire valoir ses revendications. Cela pourrait au moins faire progresser les négociations de paix.