Les relations diplomatiques entre la France et la Russie : plusieurs siècles de réchauffements et de tensions
Face à l’avancée des troupes russes en Ukraine et au risque de désengagement américain, le président français, Emmanuel Macron, a déclaré fin février 2024 que l’envoi de troupes sur le sol ukrainien ne pouvait plus être exclu. Le premier pas vers un affrontement direct ?
Suivant sa rhétorique habituelle, le Kremlin a décrit la position française comme une nouvelle expression de l’agressivité occidentale, mentionnant également la perte d’influence de la France en Afrique au profit de la Russie.
La passe d’armes actuelle entre Paris et Moscou n’est qu’une nouvelle étape de l’histoire longue et mouvementée des relations entre les deux pays, faite de plus de trois siècles de réchauffements et de tensions.
À mesure que la puissance russe s’affirme à l’est de l’Europe, au XVIIe siècle, la France voit en elle un allié potentiel contre la dynastie des Habsbourg, son principal rival sur le continent à l’époque.
Les relations diplomatiques entre les deux pays ont été ouvertes lors de la visite de Pierre le Grand à Versailles, en 1717. Le tsar, que Louis XIV n’avait pas souhaité accueillir en France, a été reçu par le jeune roi Louis XV.
Malgré l’ouverture d’ambassades permanentes, la France reste méfiante à l’égard de la Russie au XVIIIe siècle. Les deux pays s’affrontent même lors de la Guerre de Succession d’Autriche, de 1740 à 1748.
Sous le règne de Louis XVI, les relations franco-russes se réchauffent, car la France prend conscience du rôle de la Russie en Europe, tandis que l’impératrice Catherine II se réclame de l’esprit des Lumières. Mais les affrontements entre la Russie et l’Empire ottoman, un vieil allié de la France, sonnent le glas de ce rapprochement.
Durant la Révolution française, la Russie se joint aux coalitions formées contre la France par les monarchies européennes qui considèrent ces événements comme une hérésie dangereuse.
À l’époque napoléonienne, la France et la Russie s’affrontent directement. Après avoir vaincu l’armée du tsar Alexandre Iᵉʳ à Austerlitz, puis à Friedland, Napoléon signe avec lui le traité de Tilsit, en 1807, qui fait de leurs pays des alliés.
Cependant, Napoléon lance la campagne de Russie en 1812. Après avoir gagné une ville de Moscou vide et largement brûlée, la Grande Armée doit battre en retraite à cause de l’hiver et subit une cuisante défaite, la fameuse Bérézina.
La restauration de la monarchie permet à la France vaincue de retrouver sa place sur l’échiquier européen, où la Russie est en position de force. Mais ce pays reste méfiant à l’égard de la France à l’issue de la Révolution de 1848 et du « printemps des peuples » qui l’a suivie.
Sous Napoléon III, la France et le Royaume-Uni soutiennent l’Empire ottoman contre l’agresseur russe durant la Guerre de Crimée. Les États alliés infligent à la Russie une lourde défaite à Sébastopol, en 1856.
À la fin du XIXe siècle, la France sort de son isolement diplomatique en s’alliant avec la Russie (et le Royaume-Uni) pour faire face à la Triple-Alliance entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie.
Ces deux blocs s’affrontent au cours de la Première Guerre mondiale, mais la Russie se retire unilatéralement du conflit à l’issue de la Révolution bolchévique de 1917.
Dans l’entre-deux-guerres, la République française se méfie de la Russie communiste. Cependant, face à l’imminence du péril nazi, les deux pays forment un pacte d’assistance mutuelle en 1935. En 1941, l’URSS rejoint les Alliés dans la lutte contre l’Axe.
Durant la Guerre froide, la France et la Russie, toutes deux dotées de l’arme nucléaire, font partie de deux blocs opposés entre lesquels le risque d’affrontement militaire est permanent.
Dans les années 1960, la « détente » de la Guerre froide permet de relancer les relations franco-soviétiques. Cependant, la répression du Printemps de Prague en 1968 et l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979 suscitent un regain de tensions diplomatiques.
Marquée par la fin du communisme et par l’éclatement de l’URSS, remplacée par la Fédération de Russie, la fin de la Guerre froide est synonyme de réchauffement des relations bilatérales.
Dans les années 1990 et 2000, Paris et Moscou concluent de nombreux accords dans différents domaines comme l’énergie nucléaire (1996), la sécurité intérieure (2003) ou les lanceurs spatiaux (2003), tout en développant la coopération culturelle.
L’amitié franco-russe a culminé en 2003 lorsque Vladimir Poutine, le président français Jacques Chirac et le chancelier allemand Gerhard Schröder ont fait front commun contre l’invasion de l’Irak par les États-Unis.
Mais l’idylle n’a pas survécu au renouveau des ambitions impérialistes de Moscou. L’invasion de la Géorgie, en 2008, et surtout l’annexion de la Crimée, en 2014, ont replacé les deux pays dans des camps opposés, la France se joignant aux sanctions occidentales contre la Russie.
À peine élu en 2017, Emmanuel Macron avait reçu Vladimir Poutine en grande pompe au château de Versailles, trois siècles après la visite de Pierre le Grand. L’objectif était alors d’arrimer la Russie à un dispositif de sécurité européen commun. Un échec.
Dans les colonnes du ‘Point’, l’ancien ambassadeur de France auprès des Nations unies, Gérard Araud, a dénoncé en 2022 « le mythe de l’alliance franco-russe », réfutant l’idée selon laquelle les deux nations sont « liées pour l’éternité au nom d’une relation spéciale et ancestrale ».
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« Les références inévitables aux deux guerres mondiales et au général de Gaulle ont servi le plus souvent d'arguments, tandis qu'antigermanisme et antiaméricanisme plus ou moins subtilement évoqués en étaient les justifications réelles. », précisait le diplomate.
Une position rejointe dans ‘Le Figaro’ par l’historien Pierre Branda, qui décrit l’alliance franco-russe comme une « illusion dangereuse », car « par le passé, nous avons été perdants quand nous nous sommes alliés avec le plus grand pays de la planète ».
Dès 1937, l’écrivain Emmanuel Berl indiquait que « la France a quand même plutôt pâti que bénéficié de ses rapprochements successifs avec la Russie, par quoi elle fut souvent trompée, souvent trahie et presque toujours déçue ». Des propos d’une étrange actualité !