L'Europe est-elle en train de détruire notre planète ?
Un rapport de l'ONG internationale WWF, datant de mai 2022 et intitulé "L'Europe dévore la planète", dénonce le système agroalimentaire européen et ses conséquences néfastes sur notre environnement. Alors que l'Europe est souvent dépeinte comme le continent qui nourrit le monde, cette idée mise en avant par nos dirigeants politiques est aujourd'hui remise en question. Décryptage.
Économiquement parlant, l'Union Européenne est bien le premier exportateur mondial de produits agroalimentaires. Dire que l'Europe nourrit notre planète serait donc en partie vraie. Mais dans son dernier rapport, WWF souligne les défaillances du modèle européen, et affirme que "plutôt que la nourrir, l'Europe dévore la planète".
Pour expliquer ce constat, il faut s'intéresser aux importations de l'Union Européenne.
Afin d'exporter des produits d'origines animales ou d'autres produits transformés, l'UE doit d'abord importer en masse des produits de base. On peut citer par exemple le soja, utilisé en quantité astronomique pour nourrir le bétail dans les élevages, ou le cacao, importé d'Amérique du Sud, d'Afrique et d'Asie pour fabriquer du chocolat dans nos usines.
La surconsommation de viande et de produits laitiers en Europe incite d'autant plus à l'importation d'intrants agricoles comme le soja ou les engrais. En 2020-21, l'UE a importé 25 millions de tonnes de farine de soja pour l'alimentation animale "alors que notre production nationale est inférieure à 1 million de tonnes", comme le précise l'ONG. L'Europe consomme bien plus qu'elle ne produit.
Pour afficher une balance commerciale positive, l'Europe se repose sur un modèle "consistant à importer des produits bruts de faible valeur et à exporter des produits de grande valeur, ce qui apporte une contribution positive à l’économie européenne, mais pas nécessairement à l’approvisionnement alimentaire mondial."
Pour illustrer ce propos, WWF rapporte qu'en 2020, l'Europe a importé 122 milliards d'euros de produits agroalimentaires (fruits, café, huile de palme et soja entre autres) et en a exporté pour 184 milliards d'euros. L'UE affichait donc un excédent commercial agroalimentaire de 62 milliards d'euros.
L'Europe vend avant tout ses produits aux consommateurs les plus riches. D'après l'étude de WWF, l'Europe exporte majoritairement vers le Royaume-Uni (23%), les États-Unis (12%) et la Chine (10%). La Suisse, le Canada, l'Arabie Saoudite ou encore l'Australie font parties des dix premières destinations vers lesquelles l'Union Européenne exporte ses produits agroalimentaires. En outre, l'affirmation "l'Europe nourrit le monde" n'a plus tout à fait le même sens qu'à première vue.
L'importation massive de produits de base dans l'Union Européenne a des conséquences dramatiques sur notre planète. Sa forte demande a entrainé la perte de "millions d'hectares de forêts, de savanes et de prairies, en particulier dans les zones tropicales, détruisant des écosystèmes précieux et contribuant de manière significative au changement climatique et à la perte de biodiversité" au fil des années. À cause du modèle économique qu'elle a construit, l'UE a une grande part de responsabilité dans la crise climatique que nous vivons actuellement.
Après la Chine, l'Union Européenne est le deuxième importateur le plus impliqué dans la déforestation tropicale. D'après WWF, la demande européenne a entrainé la destruction de 3,5 millions d'hectares de forêts tropicales entre 2005 et 2017, ce qui a libéré près de 1 807 millions de tonnes de CO2 dans l'air, et a lourdement impacté la biodiversité terrestre. Un désastre écologique.
On estime qu'en moyenne, un européen consommerait 61 kg de soja par an, dont 90% proviendrait indirectement de la consommation animale, le soja étant utilisé pour nourrir le bétail. Entre 2005 et 2017, l'importation du soja par l'UE a été responsable de 31% de la déforestation tropicale. Au total, ce sont environ 89 000 hectares de forêts qui ont été détruits chaque année. Et ce n'est pas le seul produit importé par l'Europe entrainant à grande échelle la destruction des forêts tropicales.
La demande en huile de palme pour le marché européen a également eu un fort impact sur l'environnement, et est responsable de la destruction de 69 000 hectares de forêts tropicales par an, entre 2005 et 2017.
Le rapport de WWF soulève un autre problème récurrent en Europe : le gaspillage alimentaire. "Jusqu’à 40 % des aliments produits dans le monde ne sont jamais consommés", indique l'ONG dans son rapport, en précisant que l'UE gaspillerait environ 88 millions de tonnes de nourriture chaque année, soit 173 kg de nourriture par personne. Un gaspillage qui est tout de même responsable de 8 à 10% des émissions de gaz à effet de serre. Si les consommateurs ont leur part de responsabilité, les exploitations agricoles sont également pointées du doigt.
Ces pertes de nourriture découlent parfois des conditions météorologiques extrêmes, qu'il est impossible de contrôler. Mais d'autres facteurs, comme la surproduction agricole, les accords contractuels, les manques d'équipements, ou encore, les commandes annulées, expliquent le gaspillage au sein des exploitations agricoles.
Comment venir à bout de ce système qui détruit notre planète ? Selon l'ONG, il est nécessaire de modifier, à grande échelle, nos habitudes alimentaires. Elle constate : "Actuellement, l’alimentation des animaux issus d’élevages industriels repose sur des produits qui pourraient nourrir les humains, dont la culture d’une partie provoque la destruction d’écosystèmes naturels." La moitié des cultures céréalières que nous produisons est destinée à nourrir les animaux dans les élevages. La surconsommation animale est un réel fléau pour notre environnement, et par ailleurs, pour notre santé.
WWF préconise une "transformation profonde du système alimentaire européen" pour un modèle plus durable. L'ONG est par exemple en faveur d'un secteur de l'élevage redimensionné pour nourrir les humains de la planète au seuil de sécurité, nous permettant ainsi d'abandonner l'élevage intensif. Dans ce nouveau modèle, les cultures céréalières nourriraient davantage les humains que les animaux en élevage.
Pour WWF, il est aussi nécessaire de changer les politiques pour accélérer les transitions des modes alimentaires. Un changement de législation qui semble déjà en marche, comme le constate l'ONG : "Une série de nouvelles initiatives politiques liées à l’alimentation, comme la nouvelle législation européenne sur les produits sans déforestation, va déjà dans le bon sens."
Les dernières études prouvent que les Européens ont d'ores et déjà commencé à changer leurs habitudes alimentaires. Ils consomment de moins en moins de viande, et se tournent davantage vers des alternatives végétales.
L'industrie européenne des aliments d'origine végétale est en plein essor avec une croissance record de 49% entre 2018 et 2020. En Allemagne, les ventes de produits d'origines végétales (comme les steaks végétaux par exemple) ont augmenté de 224% !
La consommation de produits bio a également bondi ces dernières années et l'agriculture biologique représente aujourd'hui 14,6 millions d’hectares de terre en UE et au Royaume-Uni. Désormais, les Européens se préoccupent plus de ce qu'ils mettent dans leurs assiettes, mais aussi du bien-être animal et des impacts écologiques de l'agriculture intensive. Une certaine crise sanitaire a d'autant plus contribué à cet éveil de conscience.
Depuis le début de la crise sanitaire de la Covid-19, les Européens ont l'envie de manger plus sainement. Avec le confinement de mars 2020, beaucoup se sont mis à cuisiner davantage, et font plus attention à la provenance de leurs produits, en s'approvisionnant le plus possible chez des producteurs locaux.