L’incroyable parcours de Mikheïl Saakachvili, l’ancien président géorgien aujourd’hui en prison
Aujourd’hui âgé de 56 ans, l’ancien président géorgien Mikheïl Saakachvili continue de purger une peine de prison pour un dossier qu’il a jugé « politique » dans un entretien accordé au Monde.
Dans cette interview, donnée sous la forme de feuilles volantes transmises par son avocat au quotidien du soir, l’homme d’État a déploré le « changement de l’élan géopolitique » de son pays.
En effet, le contexte actuel est marqué par l’adoption d’une loi controversée sur les agents étrangers, que ses détracteurs considèrent comme une dérive autoritaire inspirée par la Russie.
Homme politique ayant exercé des responsabilités importantes dans deux États, réformateur actuellement incarcéré dans son propre pays, Mikheïl Saakachvili a eu un parcours peu commun. Un retour en images.
Né en 1967 à Tbilissi, dans une Géorgie qui appartient encore à l’Union soviétique, le futur chef d’État a vécu très jeune entre son pays et l’Ukraine, où il a poursuivi ses études avant de s’installer aux États-Unis.
D’abord avocat à New York, Saakachvili rentre en Géorgie dans les années 1990. Élu député, il se fait un nom à la tête du comité parlementaire chargé de démocratiser le pays en modifiant le système électoral, en installant une justice indépendante et en réformant la police.
De plus en plus populaire dans son pays comme à l’étranger, le jeune homme politique est nommé ministre de la Justice dans le gouvernement d’Edouard Chevarnadze (sur la photo) en 2000. Il s’attaque à la réforme d’une justice corrompue et politisée et d’un système carcéral vétuste.
Estimant que Chevarnadze ne souhaite pas combattre effectivement la corruption, Saakachvili démissionne de son poste ministériel en 2001 et fonde son propre parti, le Mouvement national uni (MNU).
En 2003, le gouvernement est accusé d’avoir truqué les élections et l’ancien ministre de la Justice prétend les avoir remportées. À l’issue de deux semaines de protestations pacifiques, connues sous le nom de « Révolution des Roses », le président se résout à démissionner.
En janvier 2004, Mikheïl Saakachvili remporte les élections présidentielles et devient, à 36 ans, le plus jeune chef de l’État dans l’histoire de la Géorgie.
Le président affirme l’ancrage occidental de la Géorgie en soutenant son adhésion future à l’Union européenne et à l’OTAN. Cependant, il souhaite aussi, dans un premier temps, maintenir de bonnes relations avec la Russie de Vladimir Poutine.
Un vœu mis en cause la même année par la crise d’Adjarie, du nom d’une République autonome de l’ouest du pays, dirigée par un leader séparatiste pro-russe, et par les conflits armés qui opposent le gouvernement central au territoire dissident de l’Ossétie du Sud, à la frontière russe.
En politique intérieure, Saakachvili est un chef d’État réformateur, déterminé à lutter contre la corruption et la bureaucratie tout en favorisant le développement du pays par des mesures de libéralisation économique.
En 2005, il subit avec le président américain George W. Bush une tentative d’assassinat dans le Parc de la Liberté, à Tbilissi. Une grenade lancée vers les deux dirigeants atterrit dans la foule, loin du podium, mais n’explose pas.
Selon certains observateurs, le respect des droits humains aurait progressé sous Saakachvili par rapport à l’ère Chevarnadze. Néanmoins, plusieurs faits ont été dénoncés, comme les pressions sur les membres de l’opposition et les traitements infligés à certains prisonniers.
Après une crise politique majeure en 2007, l’année 2008 est celle de la réélection de Mikheïl Saakachvili, mais aussi de la guerre d’Ossétie du Sud. Suite à plusieurs accrochages, l’armée géorgienne donne l’assaut contre les milices séparatistes soutenues par la Russie au mois d’août.
La Russie utilise ce prétexte pour envahir les territoires concernés et son armée défait les troupes géorgiennes en quelques jours. Tbilissi dénonce l’annexion de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie, que Moscou reconnaît officiellement comme des États indépendants.
En 2013, Saakachvili quitte le pouvoir après la défaite de son parti aux élections législatives de l’année précédente. Usé par dix ans passés à la tête du pays, son clan subit une persécution judiciaire orchestrée par le nouveau Premier ministre pro-russe, Bidzina Ivanichvili (sur la photo).
Exilé aux États-Unis, l’ancien président renonce à la nationalité géorgienne pour échapper aux poursuites et éviter l’emprisonnement. Accusé d’abus de pouvoir et de détournement de fonds, il fait l’objet d’une demande d’extradition de la part de la Géorgie.
À la même époque, l’homme politique mène une seconde carrière en Ukraine, où il devient gouverneur de l’oblast d’Odessa.
Tombé en disgrâce sous le mandat de Petro Porochenko (sur la photo), qui fait de lui un apatride en lui retirant la nationalité ukrainienne et qui menace de l’extrader vers la Géorgie, il fait son retour après l’élection de Volodymyr Zelensky.
Revenu volontairement en Géorgie en octobre 2021, Saakachvili est arrêté immédiatement et doit purger une peine de plusieurs années de prison, malgré les manifestations de soutien et les tentatives de la diplomatie ukrainienne pour le faire libérer.
L’homme politique entame une grève de la faim en 2022. La même année, il est rapporté qu’il aurait été empoisonné, ce qui laisse présumer une vengeance politique et une implication de la Russie.
Souvent présenté par les médias russes comme un dictateur fou et l’auteur d’un génocide contre les Ossètes, Saakachvili fait l’objet de campagnes régulières de désinformation, qui ont également touché son ancien conseiller, Raphaël Glucksmann, candidat aux élections européennes de 2024 en France.
Quel est l’avenir de Mikheïl Saakachvili, toujours incarcéré sans espoir de remise en liberté immédiate ? Si certains espèrent son retour en politique en Géorgie ou en Ukraine, d’autres craignent pour la vie d’une personnalité menacée et faiblement protégée.
Mais, quel que soit son futur personnel, l’homme d’État n’entend pas renoncer à ses idéaux. Dans l’entretien qu’il a donné au Monde, il a appelé la jeunesse de son pays et d’ailleurs à « se battre pour la liberté ».