L’ingérence russe en France : un danger grave, multiforme... et imminent
Le rapport annuel 2023 de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) a fait état des diverses menaces cyber auxquelles la France est exposée. Et l’ingérence russe est actuellement la première d’entre elles.
« Les acteurs étatiques affiliés à la Russie sont plus que jamais de retour. On a constaté des infiltrations sur des infrastructures critiques, sans actions particulières derrière », a déclaré Vincent Strubel, le directeur général de l’agence, cité par ‘Numerama’.
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« Ils agissent comme des espions, ils ne font rien, si ce n’est vérifier qu’ils sont toujours installés. Ils attendent de frapper le jour J, où on leur donnera des instructions », ajoute Strubel, citant l’utilisation de logiciels malveillants, voire des cas de destructions physiques d’infrastructures.
Le rapport souligne que la lutte contre l’espionnage a été une nouvelle fois la première mission de l’ANSSI en 2023. Les administrations et les entreprises françaises sont particulièrement visées par ces activités illégales.
Mais le rapport, cité par ‘Numerama’, note également « un ciblage croissant de groupes de réflexion (think tanks), d’instituts de recherche et d’entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) ».
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Pour résumer, les cyberattaquants s’en prennent à « des organisations travaillant dans des domaines stratégiques ou celles qu’ils considèrent comme proches de l’État français ».
Au-delà des attaques sur des cibles précises, Moscou mène actuellement une véritable guerre de l’information contre les démocraties occidentales, en tentant d’influencer la perception qu’a l’opinion des événements actuels.
Dans une note en date du 14 février dernier, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a appelé les forces de l’ordre à faire remonter tous les « signaux faibles » d’ingérences menées en France par la Russie.
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Citée par ‘La Dépêche’, la note souligne l’existence de « modes opératoires alternatifs » et d’« actions subversives », citant en exemple des « graffitis, tags, placardage d’affiches, de stickers, distribution de flyers ».
Le document rappelle que ces actions « visent globalement à amplifier les dissensions et les fractures internes à la société française », sur des sujets comme la réforme des retraites, le conflit israélo-palestinien ou l’organisation des Jeux Olympiques de Paris.
La DGSI n’exclut pas non plus que des « actions de nature violente » soient commanditées, comme des « menaces ou agressions physiques, notamment à l’encontre de ressortissants ukrainiens ou de dissidents russes ».
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Un exemple concret : l’affaire des étoiles de David taguées à Paris lorsque le conflit entre Israël et le Hamas a éclaté fin 2023. L’enquête a établi l’implication du FSB, les services secrets russes, derrière le couple de Moldaves qui avait réalisé les graffitis.
‘La Dépêche’ rappelle que la France avait dénoncé une « ingérence numérique russe » à travers « l’amplification artificielle et la primo-diffusion sur les réseaux sociaux des photos des tags » des étoiles de David.
À l’automne 2023, la France a été gagnée par un psychodrame au sujet des punaises de lit. Interrogé sur ‘TF1’, le ministre délégué à l’Europe, Jean-Noël Barrot, a déclaré que la polémique avait été « très largement amplifiée par des comptes liés au Kremlin ».
Selon le ministre, l’affaire a été « artificiellement amplifiée sur les réseaux sociaux par des comptes dont il a été établi qu'ils sont d'inspiration ou d'origine russe, avec même un lien faux créé entre l'arrivée de réfugiés ukrainiens et la diffusion des punaises ».
Dans un rapport publié en février dernier, Viginum, l’organisme chargé de détecter les ingérences numériques étrangères, a identifié un vaste réseau de 200 sites internet de désinformation pro-russes.
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Comme le rappelle ‘Public Sénat’, l’ancien président russe Dimitri Medvedev a récemment appelé sur Telegram à soutenir « ouvertement ou secrètement » les partis « antisystème » en vue des prochaines élections européennes.
À quelques mois du scrutin, le risque est donc réel de voir la Russie influencer la politique nationale, en soutenant « certains partis politiques identifiés comme favorables », comme l’indique le politologue Frédéric Charillon, cité par le même média.
« L’objectif peut aussi être de déstabiliser la démocratie en tant que telle. Plus on a du mal à compter les voix pour déterminer le vainqueur, plus le processus démocratique apparaît comme un vaste chaos, plus les régimes autoritaires sont heureux », ajoute Charillon.
Selon cet expert, les Jeux Olympiques de Paris pourraient par ailleurs être la cible « d’actions visant à démontrer que, décidément, les régimes démocratiques ne sont pas sûrs, qu’ils sont incapables d’organiser des événements proprement, à la différence des régimes autoritaires ».
Cité par ‘BFMTV’, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré devant la commission des Lois du Sénat que la Russie est aujourd'hui « le principal ennemi » de la France « dans la guerre informationnelle, d'agressivité sur le territoire ».
« En tant qu’historien, j’ai retracé plus d’un siècle de manipulations de masse. Je ne vais pas vous mentir, nous sommes face à la menace la plus grave qui ne s’est jamais présentée à notre pays », alerte David Colon, professeur à Sciences Po Paris, cité par ‘Public Sénat’.
« Nous sommes dans un contexte de guerre informationnelle qui, du point de vue du Kremlin, est une guerre totale dirigée contre les démocraties. Vladimir Poutine mène une guerre pour sa survie politique, une guerre totale, puisque la Russie s’appuie sur tous les moyens à sa disposition pour la mener », ajoute l’historien.
La France n’est pas le seul pays d’Europe concerné. La diffusion sur la chaîne d’État russe ‘RT’ d’un enregistrement d’officiers allemands évoquant la livraison de missiles Taurus à Kyiv a provoqué une vive émotion outre-Rhin. Et l’ouverture immédiate d’une enquête.
Pour Frédéric Charillon, il est nécessaire de sensibiliser les jeunes au risque de désinformation : « Quand on essaye de les alerter sur ces risques, les étudiants ont l’impression qu’on essaye de les brider, qu’on est paranoïaques. Or, c’est un public qui s’informe via les réseaux sociaux. »
Enfin, la France est en train de se doter d’un arsenal de répression plus efficace en créant des organismes de surveillance et de contre-ingérence. Mais des zones d’ombre perdurent, comme le financement de certains médias ou organismes de recherche.
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