Président en fuite, état d'urgence décrété : le point sur la situation au Sri Lanka
La situation est plus tendue que jamais au Sri Lanka. Ce mercredi 13 juillet, le président Gotabaya Rajapaksa a fui son pays pour rejoindre les Maldives, après avoir promis qu'il démissionnerait de ses fonctions. Il laisse derrière lui le Sri Lanka dans un état critique. Décryptage.
La colère gronde au Sri Lanka. La cause ? Une pénurie d’hydrocarbure et une grave crise économique qui dure depuis des semaines. Samedi dernier, des centaines de milliers de manifestants s'étaient réuni dans le quartier des résidences officielles des membres du gouvernement, dans la capitale Colombo. Des centaines de personnes ont escaladé les grilles du palais présidentiel, avant de s'y introduire. Le président a eu le temps d'être exfiltré.
La résidence du Premier Ministre a été incendiée dans la soirée du samedi soir. C'est un chaos total qui régnait alors dans la capitale. Mais les protestants ont au moins réussi à obtenir une promesse de démission du président, qui devait se concrétiser dans la semaine.
D'après l'hôpital national de Colombo, 105 personnes blessées ont été admises après les manifestations, dont sept journalistes. De son côté, le président Gotabaya Rajapaksa avait tenté de fuir le pays mardi, en direction de Dubaï, mais les agents de l'immigration l'en avait empêché. C'est finalement grâce à l'aide de l'armée de l'air qu'il a réussi à s'envoler vers les Maldives, hier matin.
En l'absence du président, c'est le Premier Ministre Ranil Wickremesinghe qui a été désigné président par intérim. L'état d'urgence a été décrété dans le pays et la police a annoncé un couvre-feu dans la province de la capitale afin de contenir les manifestations, qui se poursuivent.
Pour mieux comprendre cette "prise de la Bastille" version sri-lankaise, remontons quelques jours en arrière.
Le dimanche 3 juillet, le ministre de l'Énergie Kanchana Wijesekera a déclaré que les réserves d'essence du pays, situé au sud de la péninsule indienne, n'étaient plus suffisantes pour répondre à la demande. En attendant la prochaine livraison d'essence, qui devrait avoir lieu entre le 22 et le 23 juillet, selon la ministre, les ventes de carburant pour les véhicules non essentiels sont suspendues, et le pays est donc complètement à l'arrêt.
Pour limiter les déplacements et économiser l'énergie, toutes les écoles et les institutions gouvernementales dites "non essentielles" sont fermées. Certains Sri-lankais tentent de se déplacer au auto-stop pour aller travailler, avec les quelques véhicules qui circulent encore.
En conséquence de cette pénurie, les entreprises de bus privés, très empruntés par les habitants, doivent considérablement réduire leur activité. Le président de l'Association des opérateurs de bus privés, Gemunu Wijeratne a déclaré : « Nous avons fait circuler environ 1 000 bus à travers le pays sur (un total de) 20 000 ». Se déplacer devient donc mission impossible.
Pas tout à fait rassurant, Gemunu Wijeratne a ajouté : "La situation va certainement empirer demain, car nous n'avons aucun moyen de nous procurer du diesel." En réalité, la situation est déjà critique. Le Sri Lanka est aujourd'hui au bord de la faillite, et ses 22 millions d'habitants vivent une page très sombre de l'histoire de leur pays.
En effet, le Sri Lanka traverse actuellement une grave crise économique, la pire que cette île ait connu depuis son indépendance en 1948. Un contexte économique tendu qui a fini par plonger le pays dans une lourde crise politique, où s'enchainent les protestations et les affrontements entre police et manifestants. La situation a même entrainé la démission du Premier Ministre le 9 mai dernier.
Cinq morts, et près de 200 blessés : c'est le bilan sanglant du climat de violence qui a frappé le Sri Lanka au début du mois de mai. Le gouvernement sri-lankais avait déployé des milliers de militaires, qui avaient pour ordre de tirer « sur quiconque pillera des biens publics ou attentera à la vie », avait déclaré le Ministre de la Défense.
Depuis plusieurs semaines, des manifestations se tenaient à travers tout le pays. Le gouvernement et sa mauvaise gestion du pays est visé. Comment le Sri Lanka en est-il arrivé là ? Vers quel futur se dirigent les Sri-lankais ? Décryptage.
Pour mieux comprendre la situation actuelle au Sri Lanka, il faut d'abord revenir plusieurs années en arrière. Entre juillet 1983 et mai 2009, le Sri Lanka a connu une guerre civile, opposant une majorité cingalaise bouddhiste conduite par l'armée sri-lankaise, à une minorité tamoule, installée au nord et à l'est de l'île.
Les racines de ce conflit remontent à la fin de la colonisation Britannique. À l'indépendance de l'île, en 1948, c'est la majorité cingalaise et bouddhiste qui prend le pouvoir, au détriment des tamouls, des hindoues et des chrétiens, qui sont accusés d'avoir été proches des colons, et de fait, sont marginalisés.
Des lois discriminatoires contre les Tamouls font leur apparition dans les années 1970. Un étudiant tamoul devait par exemple récolter plus de points qu'un étudiant cinghalais, pour une même place à l'université. En 1972, le bouddhisme devient la religion d'État. C'en est trop pour les jeunes tamouls, qui après avoir manifesté pacifiquement pour leurs droits pendant des années, finissent par créer un mouvement armé, les Tigres de libération de l'Eelam Tamouls (LTTE), réclamant la création d'un État indépendant.
Au fil des années, les tensions entre l'État et les tamouls grimpent encore. En 1977, des affrontements éclatent entre la police sri-lankaise et de jeunes tamouls. S'ensuivent des émeutes à travers le pays contre la minorité ethnique, qui feront des centaines de morts chez les tamouls. Peu à peu, les Tigres Tamouls se radicalisent ; c'est le début de la guerre civile.
La guerre civile au Sri Lanka va durer pendant 26 ans, entrecoupée par des périodes de trêves. Elle se terminera avec la mort de Velupillai Prabhakaran (photo), chef du mouvement des Tigres Tamouls, le 19 mai 2009. Elle fera environ 100 000 morts, dont 40 000 civils dans les dernières semaines du conflit selon les chiffres de l'ONU, des centaines de milliers de déplacés et des milliers de disparus.
Le président de l'époque, Mahinda Rajapaksa, nie toute atrocité attribuée à l'armée sri-lankaise, alors dirigée par son frère Gotabaya Rajapaksa, à l'encontre de la population tamoule. Il refuse que des enquêtes internationales soient effectuées pour éclaircir la situation sur la responsabilité de l'État. Les hostilités entre la minorité tamoule et le gouvernement n'ont jamais disparu.
Avant d'aller plus loin pour comprendre la situation actuelle du Sri Lanka, intéressons-nous à la famille Rajapaksa, dont les membres dirigent le pays depuis près de 20 ans.
Depuis 2019, Gotabaya Rajapaksa est le président actuel du Sri Lanka. Après une carrière militaire dans les années 1970 et 1980, il devient secrétaire d'État au ministre de la Défense entre 2005 et 2015. Il était sur la sellette depuis plusieurs mois pour sa mauvaise gestion du pays.
Son frère, Mahinda Rajapaksa, a été à la tête du gouvernement en 2004, avant de devenir Président de la République entre 2005 et 2015. En 2019, à la suite de l'élection de son frère, il retrouve son poste de Premier Ministre. Au vu des émeutes récentes dans le pays, il démissionne de son poste le 9 mai 2022.
Mais ce ne sont pas les deux seuls membres qui dirigent le pays ces dernières années. Le président a également nommé son frère ainé, Chamal Rajapaksa, au poste de ministre de l’Irrigation, de la Sécurité, de l’Intérieur et de la Gestion des catastrophes. Le fils du président, Shasheendra Rajapaksa est devenu secrétaire d'État à l'agriculture, et son neveu, a hérité du ministère de la Jeunesse et des Sports.
Revenons à la situation du Sri Lanka à sa sortir de guerre, qui explique sa crise économique actuelle. Au début des années 2010, le président Mahinda Rajapaksa (vous avez suivi ?) veut rebooster la croissance du pays, et mise tout sur le tourisme. Il priorise de grands projets d'infrastructures, et contracte alors des dettes astronomiques.
La Chine va jouer le rôle de banquier du Sri Lanka, afin que le pays puisse développer ses projets faramineux. Le Sri Lanka emprunte à la Chine 200 millions de dollars pour la construction de son aéroport international, 1,4 milliard de dollars pour la construction du port en eaux profondes de Hambantota, ou encore 15,5 millions de dollars pour un centre de conférence. La "Lotus Tower" (photo), un gratte-ciel dominant la capitale, mais jamais ouvert au public, a aussi été financé par des fonds chinois.
La croissance du Sri Lanka était finalement sur la bonne voie, notamment grâce au tourisme. Mais en 2019, un attentat terroriste va viser plusieurs lieux touristiques du pays, ce qui va considérablement affecter le secteur. Ajoutez à cela, une pandémie mondiale en 2020, et c'est toute l'économie qui s'effondre.
En 2021, le gouvernement avait pour projet de devenir le premier producteur mondial d'aliment 100% biologique. Les pesticides et autres produits agrochimiques ont alors été interdits du jour au lendemain dans le pays, provoquant la colère des agriculteurs, pourtant principal soutien du Président. Mais face à la crise économique qui prenait de l'ampleur dans le pays, les prix qui augmentaient considérablement et les pénuries de vivres qui se multipliaient, ces restrictions ont finalement été levées.
La guerre en Ukraine n'a pas non plus arrangé les affaires du Sri Lanka. L'Ukraine, comme la Russie, était le premier client de thé noir exporté par le Sri Lanka.
Avec une dette extérieure estimée à 51 milliards de dollars (dont 10% détenus par la Chine), le Sri Lanka, au bord de la faillite, a dû demander de l'aide au Fonds Monétaire International (FMI) en mars 2022. Dans une allocution, le chef d'État a annoncé : "Après mes discussions avec le Fonds monétaire international, j'ai décidé de travailler avec eux".
Lors de cette allocution, il a appelé ses compatriotes à limiter "l'usage du fioul et de l'électricité autant que possible", avant d'ajouter : "J'espère que vous comprenez la responsabilité qui repose sur vous en cette période difficile."
Aujourd'hui, le Sri Lanka souffre de lourdes pénuries, engendrées par la crise économiques qui a fait flamber les prix (30% d'inflation rien qu'au mois d'avril). Il n'y a désormais plus une goutte d'essence dans les stations-services, mais d'autres pénuries s'ajoutent à celle du carburant. Des coupures d'électricité durent parfois jusqu'à 13 heures par jour dans le pays, et par manque de médicaments, les hôpitaux publics doivent stopper toutes les opérations. Une situation critique qui paralyse le pays.
Dans les rues de tout le pays, les manifestants demandaient la démission du Président de la République. Face à l'ampleur que prenait le mouvement, et les violences qui se multipliaient, le chef d'État avait déjà décrété l'état d'urgence en mai dernier, en imposant un couvre-feu à ses 22 millions d'habitants.
Alors que le Premier Ministre a déjà démissionné, son frère Président en fera-t-il vraiment de même cette semaine ? Pour autant, la situation économique ne risque pas de s'améliorer du jour au lendemain. Il faudra une aide du FMI et une refonte totale de l'économie du pays pour imaginer un futur plus prospère.