Que sont devenus les anciens leaders de Mai 68 en France ?
Au mois de mai 1968, alors que le général De Gaulle était au pouvoir depuis dix ans, la France s’embrasait à la surprise générale. Pendant quelques semaines de printemps, un immense mouvement de contestation gagne un pays qui ne sera plus jamais le même qu’auparavant.
D’un côté, les syndicats organisent une grève générale dans l’industrie. De l’autre, les étudiants, notamment dans les universités du Quartier latin à Paris et de Nanterre, organisent une gigantesque protestation. La jonction de ces mouvements forme la contestation sociale la plus intense que la France ait connue après-guerre.
Mais au-delà des revendications matérielles, les leaders du mouvement expriment une aspiration à une plus grande émancipation : liberté s e x u e l l e, autonomie dans les organisations, hostilité au système économique… autant de mots d’ordre qui font vaciller le pouvoir gaullien !
Mais à la fin du mois de mai, le mouvement s’essouffle. Une autre partie de la population manifeste son soutien à De Gaulle, dont le parti conserve la majorité aux élections législatives organisées pour donner une nouvelle légitimité à son gouvernement. C’est le temps du retour à l’ordre.
Un grand nombre d’anciens manifestants ont poursuivi leur combat dans la décennie suivante, en formant des communautés de vie autonomes ou en rejoignant de nouveaux mouvements, notamment maoïstes. Mais certaines figures célèbres de Mai-68 ont tracé leur propre chemin...
On pense en particulier au trio formé par Daniel Cohn-Bendit, Alain Geismar et Jacques Sauvageot, qui a incarné plus que tout autre le Mai-68 étudiant. Que sont devenus les anciens leaders apparus lors de ce mois de mai pas comme les autres ? Découvrez-le en images !
Si une figure a incarné le Mai-68 français, c’est bien celle de Daniel Cohn-Bendit, surnommé « Dany le Rouge » aussi bien pour sa couleur de cheveux que pour sa radicalité politique. Après avoir joué un rôle majeur dans la contestation étudiante, celui qui n’a pas encore la nationalité française est expulsé en Allemagne avant de revenir clandestinement à Paris. Fin mai, il déclare en une de ‘France Soir’ qu’il souhaite « renverser le capitalisme ».
Ces mots lui ont souvent été rappelés dans les décennies suivantes. Libertaire dans l’âme, Daniel Cohn-Bendit a finalement abandonné toute contestation de l’économie de marché et il a même soutenu activement Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle de 2017.
Après avoir rejoint les Verts, parti nouvellement créé en Allemagne, Cohn-Bendit devient adjoint au maire de Francfort en 1989. Il est ensuite député européen de 1994 à 2014 en se présentant alternativement en Allemagne et en France.
Artisan du succès d’Europe-Écologie-Les Verts aux élections européennes de 2009, l’ancien militant contestataire a été pendant des années l’un des orateurs les plus en vue du Parlement de Strasbourg, défendant inlassablement la construction européenne, l’écologie et les droits de l’homme.
Enseignant et syndicaliste étudiant, Serge July est un autre visage familier des événements de mai. Cofondateur du quotidien de gauche ‘Libération’ dans les années 1970, il dirige ce journal pendant plus de trente ans jusqu’en 2006. Patron de presse influent, il a aussi été éditorialiste dans de nombreux médias audiovisuels.
Militant maoïste, André Glucksmann (au centre sur la photo) a participé activement au mouvement de mai 1968. Cet intellectuel a ensuite rompu avec le marxisme, soutenant la guerre américaine en Irak en 2003 et la candidature de Nicolas Sarkozy en 2007. Contre la récupération des partis de gauche, il a tenté de présenter Mai-68 comme un mouvement anti-autoritaire en faveur de la liberté.
Maoïste et proche de la Gauche prolétarienne dans les années suivant Mai-68, Alain Finkielkraut a rapidement rompu avec ses engagements de jeunesse en dénonçant ce qu’il nomme le « progressisme » des anciens soixante-huitards. Farouchement hostile à l’islam politique et défenseur d’Israël, Finkielkraut fait aujourd’hui partie des intellectuels français conservateurs.
Syndicaliste étudiant dès le début des années 1960, Henri Weber a participé au mouvement de 1968 alors qu’il était encore étudiant lui-même. Militant d’extrême-gauche dans les années 1970, il adhère au Parti socialiste en 1986 et devient conseiller de Laurent Fabius, élu local puis député européen. Devenu l’intellectuel attitré du PS, Weber est décédé en 2020.
Leader du Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP) en 1968, Alain Geismar a été l’un des ténors du mouvement étudiant. Devenu ensuite Inspecteur général de l’Éducation nationale, il a été conseiller de ministres et d’élus de gauche sur les questions d’enseignement.
Âgé de 16 ans en 1968 et leader de la contestation lycéenne (il est exclu du Lycée Condorcet, à Paris, dès le mois de janvier), Romain Goupil s’est ensuite lancé dans le cinéma. Assistant de célèbres réalisateurs comme Jean-Luc Godard ou Roman Polanski, il a remporté une Caméra d’or au Festival de Cannes en 1982 pour son film « Mourir à trente ans ».
Fondateur de la Jeunesse communiste révolutionnaire et emprisonné en juillet 1968, Alain Krivine est devenu le maître à penser de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), rebaptisée Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Disparu en 2022, il a soutenu les candidatures présidentielles d’Olivier Besancenot et de Philippe Poutou (avec lui sur la photo).
Comme on peut le voir, les leaders emblématiques de Mai-68 ont été essentiellement des hommes. De nombreuses femmes se sont investies à la base dans le mouvement, mais aucune d’entre elles n’a fait de ce fameux mois de mai le tremplin d’une future carrière.
Lui-même ancien militant maoïste, le psychanalyste Gérard Miller a dénoncé dans son essai « Mélenchon Mai oui » le fait que ses anciens camarades aient « retourné leurs vestes ». « L’immense majorité des soixante-huitards est restée tout ce qu’il y a de plus fidèle à l’esprit de 1968. Ce qui n’est pas le cas des quelques leaders ou personnalités de l’époque, qui eux, ont presque tous viré de bord. », a-t-il cinglé.
Mouvement anarchiste et contestataire, Mai-68 était-il vraiment compatible avec l’existence de « leaders » politiques classiques ? Pour l’écrivain et cinéaste Hervé Hamon, cité par ’20 Minutes’, « aucun historien sérieux ne peut estimer qu’il y avait des leaders en Mai-68. Même les chefs de file syndicalistes, notamment ceux de la CGT, ont été débordés par leurs bases. »
« Ceux qui ont fait Mai-68, ce sont des gens anonymes, des gens que l’on ne connaît pas. Ils sont devenus infirmiers, instituteurs, ouvriers… et ont tous comme point commun d’avoir essayé de faire leur métier différemment. Ils ont préféré s’engager dans la société civile et dans la vie associative plutôt que dans la politique. C’est ça, la postérité de Mai-68. », ajoute Hamon. Finalement, ce mouvement aura peut-être été davantage porté par un immense collectif que par des figures charismatiques.