Le nucléaire français : technologie fiable ou bombe à retardement ?
Au moment même où il faisait son retour en force et où la guerre en Ukraine a rendu plus aiguë que jamais la question de la sécurité énergétique, le nucléaire français a connu une série sans précédent de ratés en 2022. Des problèmes de corrosion ont entraîné la fermeture provisoire de plus de la moitié des centrales pendant l'année.
Alors que l'activité du parc nucléaire français a quasiment repris son cours normal pendant l'hiver 2022-2023, de nouvelles fissures avaient été découvertes dans les centrales de Penly (Seine-Maritime, sur la photo) et de Cattenom (Moselle). Une série qui semble sans fin mais qui ne devrait pas avoir d'impact majeur pour cet hiver selon le gestionnaire du réseau RTE.
Troisième producteur d’énergie nucléaire derrière les États-Unis et la Chine, puissance militaire dotée de l’arme atomique, la France a développé un savoir-faire reconnu dans la technologie nucléaire. Vanté par les uns comme facteur d’indépendance et de baisse des émissions de CO2, critiqué par les autres pour les risques qu’il comporte, l’atome continue d’alimenter les débats, notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine. On vous explique tout ce que vous devez savoir.
Dès avant la seconde guerre mondiale, des scientifiques français comme Irène et Frédéric Joliot-Curie mettent en évidence le potentiel de dégagement d’énergie par la fission ou la fusion de l’atome. Interrompues sous l’occupation, ces recherches se développent largement après-guerre.
En 1945, le gouvernement provisoire dirigé par Charles De Gaulle décide d’organiser une industrie française du nucléaire et crée le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), qui organise toujours la recherche dans ce domaine mais qui s’est étendu aux autres formes d’énergie.
Dans le contexte de la Guerre froide, la France décide de se doter d’une capacité autonome de dissuasion nucléaire. La première bombe française explose en 1960 et le pays acquiert progressivement une capacité de plusieurs centaines d’ogives.
De Gaulle considère le nucléaire comme un facteur d’indépendance nationale également dans le domaine civil. Dans les années 1960, les centrales nucléaires de Chinon (Indre-et-Loire), de Saint-Laurent (Loir-et-Cher) et du Bugey (Ain) voient le jour, pour une capacité totale de six réacteurs.
Une intuition payante, puisque la hausse brutale des prix du pétrole en 1973 et la crise économique qu’elle entraîne rappellent la nécessité de l’indépendance énergétique pour l’économie nationale. Les pouvoirs publics décident alors d’accélérer la construction de centrales sur le sol français.
Mais cette source d’énergie est aussi de plus en plus contestée par une frange de la société civile. Le projet de centrale de Plogoff, en Bretagne, doit être abandonné sous la pression des opposants à la fin des années 1970. C’est surtout la catastrophe de Tchernobyl, qui a lieu en URSS en 1986, qui fait prendre conscience des dangers liés à un éventuel accident nucléaire.
En 2011, la catastrophe de la centrale de Fukushima, au Japon, rappelle au monde entier les risques liés au nucléaire. Victorieux à l’élection présidentielle de 2012, François Hollande s’engage à fermer la centrale de Fessenheim, en Alsace, et à réduire de 75 à 50% la part du nucléaire dans la production électrique française, ouvrant la voie au développement des énergies renouvelables.
À la même époque, l’entreprise-phare du secteur, Areva, et sa présidente Anne Lauvergeon (sur la photo) sont impliqués dans un scandale lié au rachat d’une société canadienne. La mauvaise gestion de l’entreprise conduit au démantèlement partiel d’Areva et à une reprise en main de la filière par EDF.
Par ailleurs, le retard de plusieurs années de la construction de l’EPR de nouvelle génération de Flamanville, en Normandie, nuit à la crédibilité de la France dans la construction de centrales de nouvelle génération.
Mais dix ans après, l’énergie nucléaire revient en grâce parmi les décideurs publics. Entre la faiblesse des émissions de CO2 et le coût réduit de l’électricité qu’il offre, le nucléaire apparaît de nouveau comme une technologie d’avenir. Sans oublier l’indépendance énergétique qu’il permet, cruellement rappelée par la guerre en Ukraine qui oblige les pays européens à se passer des hydrocarbures en provenance de Russie.
Après quelques années d’hésitation, la France a finalement tranché pour une relance du secteur. Le plan de relance de 2020 prévoit une enveloppe de 470 millions d'euros dédiée au nucléaire, et le plan « France 2030 » adopté en 2021 alloue un milliard supplémentaire pour le développement de réacteurs de petite taille.
Début 2022, Emmanuel Macron a annoncé la prolongation de la durée de vie de tous les réacteurs actuels et la construction de 14 nouveaux réacteurs EPR. Mais le développement des énergies éolienne et solaire devrait tout de même diminuer la part du nucléaire dans la production globale.
Au niveau européen, un débat a eu lieu pour décider quelles énergies devaient être classées comme « vertes » et bénéficier de financements plus favorables. Sous l’impulsion de la France et d’autres États comme la Pologne, le nucléaire a été reconnu comme une source d’énergie « propre » contre l’avis de l’Allemagne, qui mise principalement sur les énergies renouvelables. Au-delà du débat écologique, ce sont aussi des technologies et des emplois qui sont en jeu dans chaque pays.
En effet, le nucléaire français représente aujourd’hui les deux tiers de la production électrique du pays, emploie des centaines de milliers de salariés dont le savoir-faire est mondialement reconnu, et compte pas moins de 56 réacteurs répartis dans 18 centrales depuis l’arrêt définitif de Fessenheim en 2020.
La plupart des réacteurs se situent autour de grands fleuves ou en bord de mer, comme ceux de Flamanville, Paluel et Penly au bord de la Manche, la centrale de Gravelines près de la mer du Nord (sur la photo) et celle de Blayais dans l’estuaire de la Gironde près de Bordeaux.
Plus long fleuve de France, la Loire est entourée de douze réacteurs répartis sur quatre sites : Belleville, Dampierre, Saint-Laurent et Chinon. La centrale de Nogent-sur-Seine se situe, elle, à un peu plus de cent kilomètres de Paris.
La vallée du Rhône compte également plusieurs centrales (Saint-Alban, Cruas et Tricastin), pour un total de dix réacteurs. Le site de Golfech (sur la photo) est construit quant à lui sur les bords de la Garonne, dans la région de Toulouse.
La présence des centrales à proximité de grandes agglomérations redouble la nécessité de sécuriser les installations. Un accident majeur aurait un impact grave sur la vie de millions de personnes.
L’industrie nucléaire se défend en rappelant qu’aucun accident mortel ne s’est produit en plusieurs décennies et que des dispositifs de sécurité très sophistiqués ont été déployés au fil des années. Mais les incursions réussies de l’ONG Greenpeace dans des centrales ont révélé que des failles pouvaient toujours exister.
Il ne s’agit pas que d’une affaire purement française puisque certaines centrales se situent dans des zones frontalières. Le site de Chooz (sur la photo), dans les Ardennes, est largement entouré par le territoire belge, tandis que celui de Cattenom, en Moselle, est tout proche du Luxembourg et de l’Allemagne.
Outre le risque d’accident grave, certains estiment que la vie à proximité d’une centrale nucléaire est dangereux même en situation « normale ». Des études scientifiques ont mis en avant une proportion plus élevée de cancers parmi la population vivant dans un périmètre de moins de cinq kilomètres d’une installation nucléaire.
Une autre question lancinante de l'énergie nucléaire est celle de la gestion des déchets. Des projets de sites d'incinération ont été lancés, mais personne ne souhaite les avoir à proximité de chez soi. Celui de Bure, dans la Meuse, a suscité une contestation massive parmi la population.
Alors, technologie fiable et propre ou bombe à retardement, le nucléaire ? Les gouvernements comme les opinions publiques sont très partagés. Vous savez désormais tout pour vous faire votre propre avis !