Une brève histoire du 49-3 en France
Face à la fronde parlementaire contre sa réforme des retraites, le gouvernement d’Élisabeth Borne (qui ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale) a utilisé l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Mais en quoi consiste au juste cette procédure et quelle est son histoire sous la Ve République ? Tout ce qu’il faut savoir en images.
Le « 49-3 » permet à l’exécutif de passer en force lorsque l’Assemblée s’oppose au vote d’une loi : concrètement, le Premier ministre « engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement » sur le texte en question. Les députés peuvent alors déposer une motion de censure pour renverser le gouvernement, mais si une telle motion n’est pas déposée ou n’obtient pas de majorité, la loi est considérée comme adoptée.
Critiqué par beaucoup comme un privilège exorbitant de l’exécutif par rapport au pouvoir législatif, le 49-3 avait été justifié ainsi par Michel Debré, père de la Constitution de 1958 et Premier ministre sous De Gaulle : « L'expérience a conduit à prévoir une disposition quelque peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manœuvres, le vote d'un texte indispensable. »
La révision constitutionnelle de 2008 a encadré le recours au 49-3 par le gouvernement. Depuis cette date, son usage est limité à un seul texte de loi par session parlementaire, mis à part pour les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale pour lesquelles aucune limite n’est prévue.
Depuis l’adoption de la Constitution actuelle en 1958, le 49-3 a été utilisé à exactement 100 reprises, soit plus d’une fois par an en moyenne. Malgré les critiques et un rythme très inégal d’un gouvernement à l’autre, cette pratique est bien ancrée dans la vie institutionnelle française.
Sur 100 cas de recours au 49-3, 58 motions de censure ont été déposées par les députés : dans plus de la moitié des cas, le Parlement a donc tenté de faire obstruction au gouvernement.
L’utilisation du 49-3 n’est pas spécifique à un camp politique. Avant l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017, la procédure avait été enclenchée 56 fois par des gouvernements de gauche et 32 fois par des gouvernements de droite.
Le record absolu est détenu par Michel Rocard, le Premier ministre de François Mitterrand de 1988 à 1991, avec 28 utilisations du 49-3. Mais contrairement à la plupart des autres chefs de gouvernement sous la Ve République, le socialiste ne disposait que d’une majorité relative, ce qui l’a poussé à sortir plus souvent l’arme constitutionnelle absolue.
En moins d’un an passé à Matignon, Élisabeth Borne a déjà engagé 11 fois la responsabilité de son gouvernement. Ne disposant pas d’une majorité absolue à l’Assemblée, la Première ministre en exercice est la deuxième à y avoir recouru le plus souvent après Michel Rocard.
Trois autres Premiers ministres se partagent la troisième place du recours le plus intensif au 49-3 : Raymond Barre (chef du gouvernement de 1976 à 1981), Jacques Chirac (1986-1988) et Édith Cresson (1991-1992).
À l’inverse, certains Premiers ministres de la Ve République disposant d’un fort soutien parlementaire ne l’ont jamais utilisé, y compris lorsqu’ils sont restés longtemps à Matignon comme Lionel Jospin (1997-2002) ou François Fillon (2007-2012).
Certains déclenchements du 49-3 ont marqué l’histoire de la Ve République : voici quels sont les cas les plus célèbres.
Arrivé en remplacement de Jacques Chirac, alors en conflit ouvert avec le président Valéry Giscard d’Estaing, le « meilleur économiste de France » Raymond Barre a souvent eu recours au 49-3 pour surmonter la fronde des députés restés fidèles à son prédécesseur.
Malgré l’hostilité que le nouveau président François Mitterrand avait manifesté à la Ve République, l’alternance à gauche n’a pas marqué de rupture concernant le 49-3. Le fameux alinéa a été utilisé par le Premier ministre Pierre Mauroy (1981-1984) pour certaines lois emblématiques comme les nationalisations ou la réforme de l’Éducation nationale en 1984.
En trois ans, Michel Rocard a utilisé le 49-3 pour faire adopter plusieurs de ses réformes, comme la création du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), la réforme du statut de Renault et les inévitables lois de finances.
L’article a été fréquemment actionné pour faire valider les privatisations des années 1980 et 1990 : celle de TF1 sous Jacques Chirac (1986-1988), d’entreprises publiques sous Édouard Balladur (1993-1995) et le changement de statut de France Télécom sous Alain Juppé (1995-1997).
Premier ministre de Jacques Chirac de 2005 à 2007, Dominique de Villepin a dégainé le 49-3 pour le vote du « contrat première embauche » (CPE), sa réforme très contestée du droit du travail. Si la loi a été adoptée, l’opposition de la rue a finalement eu raison de la réforme.
Sous le mandat de François Hollande, le Premier ministre Manuel Valls (2014-2016) a eu recours à six reprises au 49-3, notamment pour la « loi Macron » sur l’activité économique et pour la réforme du code du travail de 2016.
Sous le précédent mandat d’Emmanuel Macron, le 49-3 avait déjà été utilisé dans le cadre d’une réforme des retraites par le Premier ministre Édouard Philippe. Cette question reste très sensible et d’une actualité brûlante !