30 ans après le génocide au Rwanda, quelle est la responsabilité de la France ?
Il y a 30 ans, le 7 avril 1994, débutait le génocide de l’ethnie tutsie par les Hutus, au Rwanda. Plus de 800 000 personnes ont perdu la vie lors de ces massacres qui ont duré trois mois.
Dans le pays toujours marqué par ces événements, une commémoration empreinte de gravité a eu lieu ce dimanche 7 avril 2024, le jour qui a marqué le début du génocide.
De nombreux chefs d’États étaient présents à Kigali, comme Charles Michel, le président du Conseil européen, ainsi que le représentant de l’Union africaine et le président sud-africain (à gauche sur la photo).
Président des États-Unis à l’époque du génocide, Bill Clinton s’est, lui aussi, rendu sur place, tout comme l’ancien chef de l’État français, Nicolas Sarkozy, qui fut le premier à se rendre au Rwanda dans les années qui ont suivi le drame.
Malgré les milliers de kilomètres qui séparent les deux pays, la France, à l’époque alliée du gouvernement hutu, a en effet eu un rôle particulier dans l’enchaînement fatal des événements.
Cité par ‘France Info’, le président rwandais, Paul Kagame, a déclaré lors des commémorations que la communauté internationale avait « laissé tomber » les Tutsis menacés, « que ce soit par mépris ou par lâcheté ».
Comme le rappelle l’historien Vincent Duclert dans un entretien avec ‘TV5 Monde’, la déclaration de Paul Kagame sur l’abandon du Rwanda par la communauté internationale est « conforme à la vérité historique ».
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L’audiovisuel public belge ‘RTBF’ a rappelé que les Nations unies s’étaient retirées du Rwanda après l’assassinat de casques bleus belges, livrant le pays entier aux génocidaires.
Pourtant, l’ONU et certains États occidentaux, comme la France ou la Belgique, disposaient d’informations ne laissant aucun doute sur la préparation d’un massacre à grande échelle, comme l’achat d’armes blanches au moyen de fonds internationaux détournés.
« Le président Paul Kagame a tenu à souligner, toutefois, que trois pays, la Nouvelle-Zélande, la République tchèque et l'Algérie, membres non permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, s'étaient battus pour que la communauté internationale agisse et reconnaisse rapidement le génocide », souligne Vincent Duclert.
En 2021, après 27 années de flou sur l’implication réelle de la France, la responsabilité du pays a été reconnue par le président de la République, Emmanuel Macron, qui a réitéré sa position cette année dans un message vidéo.
La même année, une commission d’historiens présidée par Vincent Duclert avait conclu à l’existence de « responsabilités lourdes et accablantes » de la France dans le génocide de 1994.
Cité par ‘France 24’, Emmanuel Macron a déclaré que son pays « aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains » mais qu’il n’en a « pas eu la volonté ». Une plaie béante dans l’histoire récente de la France et de l’Afrique.
Par ailleurs, la France, présidée à l’époque par François Mitterrand, soutenait le régime hutu de Juvénal Habyarimana, dont l’assassinat le 6 avril 1994 a été l’élément déclencheur du génocide.
Cité par la ‘RTBF’, le rapport des historiens français indique que François Mitterrand « avait des liens très étroits avec le président Habyarimana » et que « celui-ci en jouait énormément pour obtenir tout de la France, sans rien concéder. Par exemple avec des cartes d’identité ethniques qui ont servi lors du génocide à éliminer les Tutsis. »
« La France aurait dû faire pression, refuser de donner des moyens militaires tant qu’Habyarimana refusait de modifier les cartes d’identité. La France ne l’a pas fait. », ajoute le rapport.
Trente ans après les faits, la reconnaissance par Paris de sa propre responsabilité ouvre la voie à une nouvelle coopération entre les deux pays, notamment en poursuivant les génocidaires présumés réfugiés en France.
Vincent Duclert relève une « accélération très nette des procédures d'arrestation et des procès », citant l’exemple de Félicien Kabuga, soupçonné d’avoir été le financier du génocide et arrêté en 2020 par les gendarmes français.
Le spécialiste note que Kigali ne demande pas d'extraditions, plaçant sa confiance dans la justice française. En effet, la compétence universelle du juge permet à la France de juger les génocidaires sur son sol.
Pour Vincent Duclert, l’enjeu pour l’avenir est de « former la conscience d'une génération », à travers l’enseignement permis par « la poursuite de la recherche » et « l'ouverture des archives ».
Trois décennies après le génocide des Tutsis, la vérité sur les responsabilités des différents acteurs a fini par s’imposer. Plus que jamais, le devoir de mémoire est nécessaire pour ne pas oublier ces atrocités et empêcher qu’elles ne se reproduisent !