Comment se sentent les Russes après plus d'un an de guerre et de sanctions ?
Après plus d'un an de combats, et alors qu'aucune sortie du conflit ne semble poindre à l'horizon, le peuple russe commence à ressentir les conséquences des actions militaires de Poutine.
Alors que des sanctions internationales s'abattent sur l'économie du pays et que de nouveaux appels à la mobilisation sont lancés, de plus en plus de jeunes abandonnent la Fédération de Russie pour y échapper.
Mais que pensent les hommes et les femmes qui vivent encore en Russie de cette guerre qui a entraîné la mort de plus de 80 000 militaires russes et entaché la réputation du pays à l'international ?
Lisa, une femme de 34 ans refusant de donner son nom de famille, a déclaré dans une interview menée par des journalistes Frederik Pleitgen, Claudia Otto et Ana Archen de "CNN" à Moscou que "l'ambiance à Moscou et dans le pays est désormais extrêmement sombre, calme, timorée et désespérée".
"Les perspectives de projection sont plus faibles que jamais. Les gens n'ont aucune idée de ce qui pourrait arriver demain ou dans un an", a-t-elle poursuivi.
Les sanctions imposées au régime de Poutine ont commencé à faire réellement sentir leurs effets sur les ménages russes lorsque les produits occidentaux se sont fait de plus en plus rares dans le pays.
"Les produits d'usage courant disparaissent, en commençant par le papier toilette et le Coca-Cola, pour finir par les vêtements… Bien sûr, on peut s'habituer à tout cela", a noté Lisa. Mais elle a surtout déclaré qu'elle ne comprend pas comment les sanctions occidentales vont aider à mettre fin à la guerre.
"Je ne sais pas vraiment comment cela aide à résoudre le conflit, puisque cela touche les gens ordinaires, pas ceux qui prennent les décisions", poursuit Lisa.
Mais ces conséquences sont voulues : c'est le but même de ces sanctions. En punissant économiquement un pays qui a l'audace d'altérer l'ordre mondial établi, les sanctions s'en prennent directement à la population, espérant ainsi faire réfléchir à deux fois tout pays qui remettrait en cause cet ordre.
Exclus des systèmes de paiements mondialisés, harcelés de restrictions commerciales de plus en plus violentes, et interdits d'exportation des produits technologiques vers quelques pays occidentaux… La Russie et sa population pâtissent des attaques occidentales.
Le pays est entré en récession le 17 novembre et ses perspectives économiques n'ont fait que se dégrader.
"Nous devons vraiment regarder la situation très sobrement, avec les yeux ouverts", a déclaré la présidente de la Banque de Russie, Elvira Nabiullina à la Douma (le gouvernement Russe) au début du mois, selon l'agence de presse Interfax.
Pour les dirigeants russes, les protestations croissantes des citoyens inquiets des futures mobilisations et des conscrits forcés à combattre en Ukraine sont plus inquiétantes que la colère croissante suscitée par les sanctions.
Après qu'un fonctionnaire russe a tenté à deux reprises de faire pression sur son fils pour qu'il signe un contrat volontaire pour combattre en Ukraine, Olga Tsukanova, la mère d'un appelé de 20 ans de la région d'Astrakhan, a participé à une récente manifestation à Saint-Pétersbourg.
"C'est un civil ordinaire", a déclaré Tsukanova. "J'ai compris que si je ne faisais pas quelque chose rapidement, il passerait du statut de conscrit à celui de soldat sous contrat afin de participer à ‘l'opération militaire spéciale’.”
"Ils le poussent constamment, lui mettent la pression", poursuit Tsukanova. "Chaque jour, un colonel ou un autre officier vient et fait pression sur eux pour qu'ils signent des contrats."
Le 25 novembre, le Kremlin a diffusé à la télévision une rencontre entre le président Vladimir Poutine et un groupe de mères en deuil afin d'apaiser le mécontentement croissant. Mais c'est ce type de réaction des citoyens qui a forcé la Russie à aborder la question publiquement.
Mais en dépit (ou peut-être à cause) des difficultés économiques et politiques croissantes imposées aux citoyens russes par les occidentaux pour faire pression sur eux, nombreux sont ceux qui voient en fait la guerre en Ukraine comme une guerre contre l'Occident tout entier.
Le directeur du centre Levada à Moscou, Denis Volkov, a déclaré que "la majorité des Russes considère qu'il ne s'agit pas d'un conflit avec l'Ukraine, mais avec l'Occident au sujet de l'Ukraine." Le Centre analytique Levada est une organisation indépendante et non gouvernementale russe axée sur les recherches sociologiques et les sondages.
"L'opinion publique a été consolidée derrière les dirigeants russes : nous avons assisté à ce que l'on appelle l'effet de rassemblement derrière le drapeau", a déclaré M. Volkov.
Au bout de six mois de collecte de données et de sondages, le centre Levada a indiqué que près de 70 % des Russes soutiennent toujours la guerre en Ukraine, et le pourcentage est plus élevé chez les personnes âgées.
Ces points de vue sont encore facilement visibles sur les chaînes Telegram pro-russes, où l'on peut lire des commentaires effrayants où certains Russes appellent les responsables gouvernementaux à utiliser des armes nucléaires pour gagner la guerre, une perspective dont le monde espère qu'elle ne sera pas retenue par les responsables russes plutôt que la résolution pacifique d'une situation terrible.