Le dernier repas avant la mort : pourquoi est-ce que cela nous fascine tant ?
Livres, podcasts, documentaires et études... La culture populaire, la "pop-culture" est constellée de ces derniers repas. Pourquoi s'en préoccuper autant ? Tout ce que l'on sait, c'est que le concept de dernier repas peut avoir une origine religieuse : la "Cène", le dernier repas du Christ avant sa crucifixion.
Aux États-Unis, où la plupart des États appliquent la peine capitale, on place les prisonniers dans un "couloir de la mort", en attendant leur exécution. C'est l'un des seuls endroits où l’on propose un dernier repas. Dans certains de ces États, on propose un repas spécial aux condamnés, un ou deux jours avant l'exécution.
La plupart des États qui accordent un "repas spécial" disposent de listes publiques et organisent des conférences de presse avant et après l'exécution. Il est donc facile de savoir quels sont les éléments d'un dernier repas.
La Floride et l'Oklahoma sont des États qui plafonnent financièrement les derniers repas, ce qui fait que certains détenus ne reçoivent qu'une partie du repas qu'ils ont demandé. Il est même possible que certains mets soient remplacés par d’autres aliments similaires et disponibles à ce moment-là.
Après que le meurtrier suprématiste blanc Lawrence Russell Brewer a commandé un copieux festin, dont il n'a finalement pas touché une miette sous prétexte qu'il n'avait pas faim, le Texas a interdit en 2011 certaines demandes spéciales de dernier repas.
Deux morceaux de poulet frit avec de la sauce ; un cheeseburger triple viande avec du bacon et des accompagnements ; une omelette au fromage avec du bœuf haché, des tomates, des oignons, des poivrons et des piments ; un grand bol de gombos frits avec du ketchup ; de la viande cuite au barbecue avec une demi-miche de pain blanc ; trois fajitas avec des accompagnements ; une pizza Meat Lovers ; trois bières artisanales ; une pinte de glace à la vanille Blue Bell ; et un fondant au beurre de cacahuètes avec des cacahuètes écrasées... C’est ce qu’avait commandé Brewer.
Un grand nombre d'ouvrages sur les derniers repas et les dernières paroles des prisonniers ont été publiés au cours des deux dernières décennies, compilant des études et des recherches sur le sujet, selon un article de synthèse publié en 2022 par John Walliss.
Ce sont l'aspect nutritionnel de la nourriture (teneur en graisses et en sucres, friture ou cuisson), l'effet du dernier repas sur les détenus et la perception générale de la peine capitale qui ont fait l'objet d'études. L'article 2022 explique que les recherches sur ce sujet ont été menées sous tous les angles.
"Des monstres qui se sont construits eux-mêmes et qui sont intrinsèquement différents par choix". C'est ainsi que le chercheur Daniel LaChance dépeint ces condamnés dans un article de 2007. Il pense en effet que les derniers repas contribuent à renforcer la nécessité de la peine capitale car ils dépeignent les détenus comme des individus.
"Le caractère ‘ordinaire’ du dernier repas est une sorte de lien entre le monde macabre du couloir de la mort et la vie de tous les jours", affirme Kristina Roth, responsable des programmes d'Amnesty International USA, selon une déclaration recueillie par le quotidien américain "New York Times". Une illustration de ce qu'assurent certains experts : le dernier repas renforce l'opposition à la peine capitale.
Des communiqués de presse et des conférences sont organisés pour discuter des demandes de derniers repas avant une exécution, et des sites web publics divulguent des listes, et des livres, documentaires, films entourant ce dernier repas, qui a une place de choix dans la culture populaire.
Certains auteurs imaginent l'idée d'un dernier festin hors des murs d'une prison. C'est le cas de "My Last Supper : one meal a lifetime in the making", publié en 2020 par Jay Rayner (journaliste et critique gastronomique anglais). Mais des détenus s'essaient également à l'écriture sur ce sujet, comme "Meals To Die For", un livre de cuisine écrit en 2004 par un ancien détenu d'une prison du Texas qui a préparé de nombreuses demandes de derniers repas pour le couloir de la mort.
L'artiste et photographe culinaire Henry Hargreaves a recréé les "derniers repas" dans son appartement et les a photographiés, mais il est loin d'être le seul et au moins dix autres photographes ont abordé le sujet sous des angles différents. C'est d'ailleurs dans la photographie que l'on trouve le plus de représentations des derniers repas.
"Last Meal" est un documentaire sorti en 2020 qui montre des reconstitutions colorées des demandes des détenus, à la manière d'une publicité pour de la nourriture. Ce sont les réalisateurs australiens Marcus McKenzie et Daniel Principe qui ont ajouté ce nouveau documentaire à la longue liste de films sur le sujet.
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"Les images de nourriture et les crimes authentiques. Si vous pouvez les combiner, vous attirez les gens", a déclaré McKenzie dans le magazine mensuel Vice. Le film de McKenzie et de Principe aborde la question de la peine capitale par le biais de la nourriture.
La plupart des livres, photographies, articles et reconstitutions s'inspirent exclusivement du système pénal américain, et les réalisateurs des documentaires ont choisi de s'intéresser aux derniers repas américains, même si ce n'est pas le seul pays où des gens sont exécutés.
La plupart des pays qui pratiquent la peine de mort, comme la Chine ou l'Iran, sont des autocraties, et il n'y a pas de liberté de la presse... Ce qui explique pourquoi les cas américains sont plus souvent étudiés et documentés. C'est du moins ce que les cinéastes australiens et Jay Rayner ont déclaré à plusieurs reprises.
Au pays de l’oncle Sam, nombreux sont les tueurs en série célèbres ayant été condamnés à la peine capitale qui ont commandé un dernier repas. Et c'est la culture morbide pour les tueurs en série qui fait de cette tradition une obsession typiquement américaine.
Un steak à point, des œufs, des pommes de terre rissolées, des toasts, du lait, du café, du jus de fruit, du beurre et de la gelée : après avoir refusé de commander, Ted Bundy, l'un des plus célèbres meurtriers américains, s'est vu offrir le "dernier repas traditionnel", auquel il n'a pas touché.
Le "clown tueur", John Wayne Gacy, a commandé une douzaine de crevettes frites, un seau de Kentucky Fried Chicken recette originale, des frites, une livre de fraises et une bouteille de Coca-Cola light. Le meurtrier de deux douzaines de jeunes hommes était directeur d’un KFC avant de se faire incarcérer.
Selon le documentaire "Last Meal", Jonathan Nobles s'est converti au catholicisme alors qu'il attendait son exécution. Il a demandé pardon et a voulu recevoir la Sainte Communion au lieu d'un dernier repas. L'homme était un toxicomane qui, dans un accès de rage, a poignardé trois personnes et en a tué deux.
Des chercheurs de l'université de Cornell, qui ont étudié 193 demandes de dernier repas aux États-Unis, ont conclu, en 2012, que la plupart d'entre elles étaient riches en calories et aliments frits, mais qu'il s'agissait surtout de repas du quotidien, ordinaires. Le repas qu’a choisi Nobles est, somme toute, assez courant.
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