Les Britanniques ont-ils le droit de remettre la monarchie en question en période de deuil ?
Alors que de nombreuses personnes au Royaume-Uni ont souhaité montrer leur respect pour la reine Elizabeth II en assistant aux commémorations, d'autres ont voulu exprimer leur mécontentement à l'égard de la monarchie lors de ces mêmes événements.
Ces derniers jours, un certain nombre de personnes ont été arrêtées pour avoir manifesté lors d'événements officiels marquant le décès de la reine Elizabeth II et la proclamation de son successeur, le roi Charles III.
Dimanche dernier, une femme (photo) a été arrêtée à Édimbourg après avoir été vue tenant une pancarte indiquant "Abolissez la monarchie" lors d'une cérémonie de proclamation du nouveau roi. Elle a été inculpée d'un délit de "violation de la paix".
On parle de "violation de la paix" lorsque le comportement d'une personne a causé, ou peut causer, un préjudice à une autre personne ou à ses biens. La police a le pouvoir d'arrêter et de détenir toute personne qui commet, ou qui, selon elle, est sur le point de commettre, cette infraction.
Outre la "violation de la paix", deux lois prévoient des infractions spécifiques permettant à la police d'arrêter des manifestants.
L'article 5 de la loi sur l'ordre public (1986) stipule qu'une personne est coupable d'une infraction à l'ordre public si "elle utilise des mots ou un comportement menaçants ou abusifs ou un comportement désordonné, ou si elle affiche un écrit, un signe ou une autre représentation visible qui sont menaçants ou abusifs."
L'autre loi qui a été récemment modifiée est la loi de 2022 sur la police, la criminalité, les condamnations et les tribunaux, qui permet à la police d'arrêter les manifestants pour "nuisance publique", un terme très large.
C'est le cas de Symon Hill, qui a été arrêté pour délit d'ordre public après avoir crié "qui l'a élu ?" lors d'une cérémonie de proclamation du nouveau roi à Oxford.
Hill a affirmé que la police l'avait arrêté en vertu de la nouvelle loi sur la police, la criminalité, la condamnation et les tribunaux. Cependant, la police de Thames Valley a déclaré qu'il avait été arrêté à cause de l'article 5 de la loi sur l'ordre public.
Revenant sur l'incident dans un billet de blog, Hill a indiqué que la police lui avait donné des "réponses confuses" lorsqu'il avait demandé pour quels motifs elle l'arrêtait, et qu'elle avait d'ailleurs annulé son arrestation plus tard dans la journée.
La loi sur la police, la criminalité, les condamnations et les tribunaux donne à la police d'Angleterre et du Pays de Galles davantage de pouvoirs pour contrôler les manifestations.
Ces nouveaux pouvoirs permettent à la police de définir la notion de "perturbation grave", d'imposer des heures de début et de fin de manifestation, de fixer des limites de bruit et d'appliquer ces lois à une manifestation organisée par une seule personne.
Le gouvernement a déclaré que ces nouvelles mesures étaient nécessaires pour lutter contre les manifestations "très perturbatrices et parfois incroyablement dangereuses".
Le gouvernement a affirmé que les manifestations de groupes tels qu'Extinction Rebellion avaient été "une ponction sur les fonds publics", coûtant très cher à l'État, et que d'autres, comme Black Lives Matter, avaient donné lieu à de nombreuses agressions contre des policiers.
Mais la commission parlementaire mixte des droits de l'homme a accusé le gouvernement de tenter de créer "de nouveaux pouvoirs dans des domaines où la police a déjà accès à des pouvoirs et à des infractions qui sont parfaitement adéquats".
Les droits à la liberté d'expression et à la liberté de réunion sont énoncés dans la Convention européenne des droits de l'homme, qui a été intégrée au droit britannique en 1998 dans la loi sur les droits de l'homme.
La liberté de se réunir n'est pas assortie au Royaume-Uni d'une quelconque obligation à ne pas déranger ou gêner les autres.
En d'autres termes, si certains exercent le droit de pleurer en public, d'autres peuvent exercer le droit de protester pacifiquement dans le même espace public, même si l'un des groupes dérange l'autre.
Il est également important de noter que le Royaume-Uni ne garantit pas la protection de la monarchie contre les critiques. Ceci est important car dans certains pays (comme la Thaïlande), insulter le monarque est une infraction pénale.
Par conséquent, la police britannique ne peut pas utiliser des délits d'ordre public, tels que le non-respect de la paix, pour mettre fin aux critiques publiques de la monarchie.
Sur la photo, des personnes brandissent des pancartes vierges pour protester contre la façon dont les antimonarchistes sont contrôlés par la police.
Il peut être inconfortable, voire choquant, pour ceux qui souhaitent pleurer publiquement le décès de la reine de voir des panneaux anti-monarchie affichés. Mais cela n'en fait pas une infraction pénale permettant d'arrêter les manifestants.
On peut donc soutenir que les gens devraient être en mesure d'exprimer leurs préoccupations à l'égard de la monarchie, même si cela doit en froisser certains lors de cette période sensible.
La seule façon dont le sentiment anti-monarchique pourrait être légalement réprimé est de déclarer l'état d'urgence dans le pays. Une période publique de deuil ne répond pas à cette norme.