Port de l'uniforme dans les écoles françaises : les contours de l'expérimentation prévue en 2024
L'Éducation nationale a fait parvenir un guide de quatre pages aux collectivités locales volontaires, détaillant les contours de l'expérimentation du port de l'uniforme dans leurs écoles, collèges et lycées publics en 2024. Le journal L'Opinion a dévoilé des extraits de ce document ce lundi 11 décembre.
Selon le ministère de l'Éducation nationale, "le port d'une tenue vestimentaire commune est susceptible de créer une atmosphère de travail et d'égalité au sein de l'établissement". Le document affirme qu'il est également "un moyen de valoriser l'image de l'école et de l'établissement en créant un sentiment d'appartenance et d'unité entre les élèves".
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En outre, l'uniforme offre "des conditions de socialisation où les différences sociales se réduisent, et permet de lutter contre le règne de l'apparence", et évite "toutes formes d'inégalités et de prosélytisme" au sein des établissements scolaires.
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Le ministère indique que les élèves recevront "un trousseau dont la composition est déterminée localement et au cas par cas en étroite collaboration avec la collectivité territoriale et après échanges avec le prestataire". FranceInfo précise néanmoins que, selon ses informations, le "kit de base" se composera de cinq polos, deux pulls et deux pantalons.
Les collectivités devront notamment "déterminer le type de pièces, la qualité des vêtements et leur quantité en fonction de l'âge des élèves, ainsi que les modalités de leur personnalisation par l'apposition du nom et/ou du logo de l'établissement." Ainsi, chaque établissement proposera une tenue personnalisée à ses élèves. "Ces trousseaux doivent naturellement respecter les principes de neutralité et de laïcité", souligne le ministère de la rue de Grenelle dans son guide.
Pendant cette expérimentation, les familles n'auront pas à payer elles-mêmes les tenues uniques de leurs enfants. Le document stipule en effet qu'"afin de ne pas faire supporter aux familles le coût financier de la mise en œuvre de cette expérimentation, la fourniture des trousseaux est prise en charge par les collectivités locales". Celles-ci pourront toutefois "bénéficier d'un appui financier du ministère".
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D'après les informations de BFM TV, l'expérimentation du port de l'uniforme débutera au printemps 2024 dans certaines villes de France, dont Reims et Perpignan. Pour les autres établissements volontaires, le coup d'envoi de l'expérimentation sera donné à la rentrée prochaine, en septembre 2024.
Selon plusieurs médias, dont Le Figaro, cette expérimentation à grande échelle devrait durer deux ans. Gabriel Attal (photo), le ministre de l'Éducation nationale, devra ensuite en tirer des conclusions.
Faudra-t-il généraliser et rendre l’uniforme obligatoire dans tous les établissements publics français ? La question avait déjà fait débat dans l’hémicycle du palais Bourbon en janvier 2023, sous l’impulsion des députés Rassemblement National (RN). Si la proposition de loi avait finalement été rejetée par l'Assemblée Nationale, l’uniforme scolaire reste un sujet qui divise au sein même des partis politiques, et qui revient régulièrement dans le débat politique et médiatique.
L'ancien ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, s'était opposé à cette idée. Il précisait néanmoins que "les établissements, en toute liberté, par une modification de leur règlement intérieur, peuvent imposer, s’ils le souhaitent, une tenue scolaire."
Interrogée sur le sujet dans un entretien pour Le Parisien, Brigitte Macron - qui a été professeur de français par le passé - s’était prononcée en faveur de l'uniforme scolaire : "J’ai porté l’uniforme comme élève : quinze ans de jupette bleu marine, pull bleu marine. Et je l’ai bien vécu. Cela gomme les différences, on gagne du temps – c’est chronophage de choisir comment s’habiller le matin – et de l’argent – par rapport aux marques." La Première dame précisait : "Je suis pour le port de l'uniforme à l’école, mais avec une tenue simple et pas tristoune."
Et il semblerait qu'une majorité de Français soit aussi pour la généralisation de l'uniforme à l'école. Selon un sondage CSA pour CNEWS, dévoilé au début de l'année 2023, 59 % des Français se prononcent en faveur d'une tenue unique dans les établissements scolaires.
Historiquement, le port de l'uniforme n'a jamais été rendu obligatoire par la loi dans l'enseignement public français. Seuls les lycées napoléoniens, qui visaient à former les garçons à devenir l'élite politique de l'Empire, ont instauré un uniforme à l'échelle nationale, entre 1802 et 1914. Cet uniforme d'allure militaire a perduré par la suite dans plusieurs lycées publics, jusqu'aux mouvements sociaux de 1968.
Après la Seconde Guerre Mondiale, les enfants ont porté une blouse bleue à l'école primaire. Mais cette tenue n'était pas considérée comme un uniforme, et a été imposée pour des raisons pratiques, plus qu'idéologiques. Les enfants portaient en fait principalement la blouse pour éviter de tacher leurs vêtements, car ils écrivaient à la plume et à l'encre. À partir de 1968, le port de la blouse a été aboli.
Aujourd'hui, si le port de l'uniforme à l'école n'est pas inscrit dans la loi française, plusieurs établissements font exception. C'est le cas des six lycées de Défense (autrefois appelés "lycées militaires"), dépendant du ministère des Armées, qui imposent un uniforme à leurs élèves. Ils disposent également d’une tenue d’apparat pour assister à des cérémonies.
Les Maisons d'éducation de la Légion d'honneur sont des établissements scolaires publics qui accueillent les filles, petites-filles et arrières-petites-filles des décorés de l'ordre national de la Légion d'honneur. L'uniforme y est obligatoire et se constitue d'un chemisier blanc surmonté d'une robe bleu marine sans manches. Il est complété par une ceinture dont la couleur indique le niveau des élèves.
Photo d'une élève prise par Henri Louis Lavaud en 1865 / Wikimedia Commons
À l'internat d'Excellence de Sourdun (Seine-et-Marne), l'uniforme est obligatoire depuis 2012. Les filles portent une jupe noire, ou un pantalon noir, avec un chemisier blanc et une veste noire, et les garçons, un costume noir, une chemise blanche et une cravate noire. À l'heure actuelle, il s'agit du seul établissement public métropolitain, sous tutelle du ministère de l’Éducation nationale, à avoir imposé le port de l'uniforme.
En Martinique, en Guadeloupe et en Guyane française, l'uniforme scolaire est ancré dans la tradition depuis la fin des années 1980. Ainsi, la tenue scolaire y est courante dans les écoles, collèges et lycées. À la rentrée 2022 par exemple, sur les 218 écoles publiques de la Martinique, un tiers imposaient l'uniforme. En Polynésie française, l'uniforme est aussi obligatoire dans plusieurs collèges de Tahiti, et dans les lycées depuis 2008.
La tenue scolaire est courante dans de nombreux pays. On pense d'abord au Royaume-Uni, où il est une véritable tradition de porter un uniforme dans les établissements privés comme publics. D'après un rapport du gouvernement britannique, 98 % des écoles publiques secondaires l'imposent.
Les uniformes, ou codes vestimentaires, sont aussi récurrents aux États-Unis, au Mexique, en Corée du Sud, au Japon, à Malte, ou encore, en Espagne. À noter qu'il est également de rigueur dans de nombreux lycées français de l'étranger, notamment dans les pays où le port de l'uniforme est la norme.
Photo : Pang Yuhao / Unsplash
Pour les partisans du port de l'uniforme à l'école, sa généralisation permettrait de réduire les inégalités sociales au sein des établissements scolaires. Les élèves ne pourraient plus se définir en fonction des vêtements et des marques qu'ils portent : tout le monde serait alors sur un même pied d'égalité.
Porter un uniforme aux couleurs d'un établissement scolaire pourrait aussi renforcer le sentiment d'appartenance des élèves à un groupe, et les liens qui les unissent en dehors de l'école.
Autre argument qui revient souvent en faveur de l'uniforme à l'école, celui du gain de temps pour les parents. Plus besoin de se prendre la tête dès le matin pour savoir comment habiller les enfants ; la tenue est la même tous les jours !
Selon certains partisans, l'uniforme à l'école aurait une influence positive sur le comportement des élèves, et pourrait notamment réduire le harcèlement scolaire, l'anxiété sociale, et l'absentéisme dans les établissements. Mais les conclusions des études menées dans les pays anglo-saxons sont mitigées, et on ne peut aujourd'hui pas prouver que l'uniforme a des effets positifs ou négatifs sur le comportement des enfants.
Pour ceux qui sont contre la tenue scolaire unique, le port de l'uniforme rapprocherait trop l'école du fonctionnement militaire. Certains voient même un parallèle entre le port de l'uniforme et l'embrigadement de la jeunesse. Après la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne et l'Italie, qui ont tous les deux vécus une époque totalitaire au XXᵉ siècle, ont abandonné l'uniforme scolaire, trop associé à la jeunesse hitlérienne et fasciste.
L'uniforme peut aussi être vu comme un vecteur de conformisme social, qui empêcherait les élèves d'exprimer pleinement leur personnalité. De plus, n'étant pas le même pour les filles que pour les garçons, l'uniforme renforcerait les clichés et la séparation entre les hommes et les femmes dans la société. Et vous, êtes-vous plutôt pour ou contre le port de l'uniforme à l'école ?