Pourquoi le projet des "méga-bassines" est-il si controversé en France ?
Le samedi 25 mars dernier, Sainte-Soline (Deux-Sèvres, France) a été le théâtre d'affrontements violents entre militants écologistes et forces de l'ordre. Malgré une interdiction de rassemblement, entre 6 000 et 8 000 manifestants (d'après les chiffres du Ministère de l'Intérieur) se sont retrouvés sur le chantier d'une "méga-bassine", pour protester contre sa construction.
Bien que cette manifestation ait été marquée par la violence (200 manifestants blessés et 47 gendarmes atteints), elle a aussi permis de donner un coup de projecteurs sur le projet des "méga-bassines", ou "réservoirs de substitution". Un projet lancé en 2018 qui a pour but d'aider le secteur agricole, mais qui est pointé du doigt par les écologistes.
La Coopérative de l'eau des Deux-Sèvres (Coop de l'eau 79), qui réunit les agriculteurs de la région, est à l'initiative du projet de ces réservoirs de substitution. Mais le projet est si coûteux que la Coop de l'eau 79 a dû faire appel à l'État pour l'aider à le financer. Actuellement, l'argent public finance donc ce projet à hauteur de 70 %.
Ce projet de retenue d'eau vise à construire 16 bassines dans les Deux-Sèvres. À l'image de piscines géantes, ces bassins artificiels sont creusés dans le sol à une dizaine de mètres de profondeur. Ces réservoirs d'eau aux fonds plastifiés peuvent contenir jusqu’à 650 000 m³ d’eau, et s'étendent en moyenne sur une superficie de huit hectares, soit l'équivalent de dix terrains de football.
Photo : Wikimedia
Sous ces bassines, des kilomètres de tuyaux sont installés pour pomper l'eau des nappes phréatiques et des cours d'eau (rivières). Le pompage de l'eau a lieu en hiver, pendant une période d'environ deux mois.
Stocker l'eau des nappes phréatiques en saison hivernale, lorsque la pluie est abondante, permettrait aux agriculteurs de s'en servir pour irriguer leurs cultures durant les périodes de sécheresse, de plus en plus intenses en été à cause du réchauffement climatique.
Le rapport "Changement climatique, eau et agriculture d’ici 2050", publié en 2020 par le CGEDD et le CGAAER, affirme que les réserves de substitution sont aujourd'hui "le mode de sécurisation de la ressource en eau le plus satisfaisant".
Pour les partisans de ce projet, ces réservoirs de substitution sont une solution pour la survie des agriculteurs, face au réchauffement climatique et aux sécheresses qui compromettent leurs productions en saison estivale.
Mais selon les écologistes, ces méga-bassines seraient néfastes pour l'environnement. "En pompant l'eau en hiver, on accentue la pression sur les ressources naturelles en eau, alors même que les nappes phréatiques peinent à se reconstituer", explique Suzanne Dalle, ingénieure agronome et militante chez Greenpeace France.
En étant stockée dans un réservoir géant et à l'air libre, l'eau devient stagnante. "Cela peut être très problématique", estime Suzanne Dalle. Un tel stockage provoquerait en effet une forte évaporation de l'eau dans l'air, et donc, un gâchis d'eau considérable. Christian Amblard, spécialiste des systèmes hydrobiologiques, estime la perte quantitative "entre 20 % et 60 %".
La stagnation de l'eau à l'air libre altère également sa qualité. Des bactéries et micro-organismes peuvent s'y développer, rendant l'eau potentiellement toxique.
Greenpeace France souligne qu'au-delà d'un ou deux ans de pompage d'eau dans les nappes phréatiques, "les prélèvements en eau vont être bien supérieurs à la capacité de recharge des nappes phréatiques". En conséquence, la sécheresse pourrait encore plus durer dans le temps.
Les militants écologistes dénoncent également l'accaparement de l'eau pour une agriculture intensive, au détriment des petits maraichers locaux. Les militants estiment que l'eau doit appartenir à tout le monde, d'autant plus face à l'urgence climatique actuelle.
Selon les opposants au projet, les méga-bassines serviraient essentiellement à irriguer des productions très gourmandes, comme la culture du maïs, qui serait destiné majoritairement à l'élevage industriel.
Quoi qu'il en soit, les agriculteurs vont devoir repenser leur consommation d'eau pour faire face à une sécheresse qui risque de s'intensifier dans les prochaines années. Pour éviter les pertes d'eau, certains maraichers arrosent leurs plantes aux racines : c'est la technique du goutte-à-goutte. La désalinisation de l'eau est une solution également souvent avancée, mais le procédé reste encore complexe et coûteux.
Le jeudi 30 mars, Emmanuel Macron a présenté son "plan eau" sur les rives du lac de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes). Un plan de 53 mesures, destiné à améliorer la gestion de l'eau pour économiser 10 % d'eau d'ici à 2030.
Parmi les grands axes de travail mentionnés dans son "plan eau", le président de la République cite l'accompagnement dans la "transformation de notre modèle agricole". "Au-delà de l’urgence et du court terme, le cœur du plan eau, avec sa cinquantaine de mesures, c’est avant tout un plan de sobriété et d'efficacité dans la durée", a précisé le chef de l'État. L'eau, ressource précieuse pour notre survie, est plus que jamais au cœur des débats.