Que va-t-il se passer pour les femmes et les enfants de djihadistes, rapatriés en France ?
Le Quai d'Orsay a annoncé le jeudi 20 octobre 2022 le rapatriement de ressortissants français qui se trouvaient dans le camp de prisonniers djihadistes au nord-est de la Syrie. "Cette opération a permis le retour [sur le territoire national] de 40 enfants et de 15 femmes adultes", précise le communiqué du Ministère des Affaires étrangères.
Ces femmes, dont 14 sont mères, sont âgées de 19 à 42 ans et font parties des Françaises qui étaient volontairement parties en Syrie pour rejoindre l'État Islamique. Capturées lors de la chute de Daesh en 2019, elles étaient depuis détenues dans le camp de Roj (photo) dirigé par les forces kurdes.
Désormais de retour en France, que vont devenir ces femmes et ces enfants ? Qu'a prévu la justice française pour ces cas si particuliers ? Décryptage.
Dans son communiqué publié le jeudi 20 octobre 2022, le Ministère des Affaires étrangères indique que "les adultes ont été remises aux autorités judiciaires compétentes." Mais que cela signifie-t-il concrètement ?
En juillet dernier, lors du précédent rapatriement collectif organisé par les autorités françaises, Laurent Nuñez (photo), qui était alors coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, avait précisé qu'il existait deux cas de figure possibles pour ces femmes, qui "font toutes l’objet soit d’un mandat de recherche, soit d’un mandat d’arrêt."
Après leur rapatriement, les douze femmes qui faisaient l'objet d'un mandat de recherche ont été placées en garde à vue à leur arrivée sur le sol français, dans la nuit du 19 au 20 octobre dernier, au sein des locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
D'après l'Agence France presse (AFP), dix d'entre elles ont été mises en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, et placées en détention provisoire le lundi 24 octobre. L'une de ces femmes a également été mise en examen pour crimes contre l’humanité et génocide.
L'une des douze femmes visées par un mandat de recherche est âgée de 19 ans, et était mineure lorsqu'elle a été emmenée dans la zone irako-syrienne par ses parents, rapporte le parquet national antiterroriste (PNAT). Elle fait aujourd'hui l'objet d'une "prise en charge éducative", car "aucun élément n’a à ce stade permis de requérir sa mise en examen."
La douzième femme mise en garde à vue à son arrivée en France était dans un état de santé "incompatible" avec la présentation à un juge d'instruction. Elle a donc été prise en charge médicalement, et sera entendue une fois que son état de santé se sera amélioré.
Il s'agit du second cas de figure évoqué par Laurent Nuñez. Trois femmes étaient visées par un mandat d'arrêt, et ont été mises en examen dès leur arrivée sur le sol français, le 20 octobre dernier, et écrouées immédiatement.
Selon les informations de France Info, confirmant celles du journaliste indépendant Stéphane Keneche, l'une de ces trois femmes serait l'épouse de l'un des terroristes du commando de l'attentat du 13 novembre. Ses deux enfants font également partie du groupe rapatrié en France le 20 octobre.
Parmi les 40 enfants rapatriés en France le 20 octobre, la plupart sont nés en Syrie. Sept d'entre eux sont aujourd'hui orphelins ou enfants isolés, rapporte le parquet antiterroriste. Mais que vont devenir ces 40 enfants qui ont grandi dans un climat d'horreur et de violence extrême ?
Dans son communiqué, le Quai d'Orsay précise que "les mineurs ont été remis aux services chargés de l’aide à l’enfance et feront l’objet d’un suivi médico-social." Pour l'heure, ils ont tous été confiés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE), dans les Yvelines, et seront par la suite placés dans des structures d'accueil.
D'après l'une des circulaires du ministère de la Justice, le dispositif mis en place pour la prise en charge des mineurs rapatriés en France inclut un "bilan tant somatique que médico-psychologique, ainsi que le dispositif de suivi, notamment psychothérapeutique". La circulaire précise qu'un "comité de suivi du dispositif est installé sous le pilotage du Ministère de la Justice et du Ministère des Solidarités et de la santé."
Le lien entre les enfants et leur famille d'origine restée en France se renouera progressivement. Ils échangent d'abord par courrier, puis par téléphone, explique France Info. Des visites encadrées par un médiateur sont par la suite organisées, souvent plusieurs mois après le retour des enfants sur le territoire national. Selon Le Parisien, des investigations seraient en parallèle menées dans les familles d'origine pour savoir si elles seraient aptes à accueillir les enfants dans le futur.
Le Collectif des Familles Unies, qui regroupe des familles de Français ayant rejoint l'État Islamique, a salué une "excellente nouvelle" dans son communiqué. Il ajoute que cette opération "semble sceller le renoncement à la politique du « cas par cas » qui consistait à rapatrier tel ou tel enfant."
Photo : Twitter
En septembre 2022, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) avait pointé du doigt cette doctrine de la France qui consistait à rapatrier « au cas par cas » les femmes et enfants de djihadistes français. En 2021, les autorités françaises avaient refusé de rapatrier une famille de djihadiste enfermée dans un camp de prisonniers depuis 2019.
La Cour européenne stipule que la France n'avait pas respecté l’article 3.2 du protocole 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme, stipulant que "nul ne peut être privé d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant."
Le 5 juillet dernier, la France avait pour la première fois procédé à une opération de rapatriement, en organisant le retour de 16 femmes et 35 enfants. Une mère et ses deux enfants avaient également été rapatriés par les autorités françaises au début du mois d'octobre 2022.
D'après les autorités chargées de la lutte antiterroriste, il restait, au début du mois d'octobre, une centaine de femmes et environ 250 enfants dans les camps syriens. Seront-ils eux aussi bientôt de retour en France ?
Interrogé sur le plateau de LCI dans les heures qui ont suivi le rapatriement du 20 octobre, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran (photo) a indiqué que d'autres enfants seront rapatriés progressivement, sans communiquer de chiffre précis. "Il y aura encore quelques mouvements de rapatriements collectifs, que nous faisons à mesure que notre système, à la fois de protection de l'enfance et notre système de surveillance, est capable d'absorber et de suivre dans de bonnes conditions", a-t-il annoncé.