Répression politique et campagnes nationalistes en ligne : vers une deuxième révolution culturelle en Chine ?
Entre un ralentissement économique, la gestion calamiteuse de la pandémie de Covid-19 et un isolement croissant sur la scène internationale, la Chine n’a jamais été aussi en proie au doute et aux crises ces dernières décennies.
La répression organisée par Xi Jinping a conduit à replier le pays sur lui-même et à saper la confiance des investisseurs internationaux. Conjuguée au surendettement du pays et à l’explosion de la bulle immobilière, cette évolution a entraîné une crise économique inédite.
C’est dans ce contexte qu’ont lieu en ce moment des campagnes nationalistes virulentes, notamment en ligne. Une diversion du pouvoir pour détourner l’attention des problèmes urgents du pays ?
Quoi qu’il en soit, le climat politique actuel n’est pas sans rappeler la Révolution culturelle, selon certains observateurs. Cet épisode particulièrement violent de l’histoire chinoise avait eu lieu à la fin du règne de Mao Zedong.
Menacé au sein du Parti communiste chinois (PCC), Mao avait fait exécuter ses rivaux par les Gardes Rouges. Une décennie de répression féroce avait suivi (1966-1976), coûtant la vie à plusieurs centaines de milliers, voire plusieurs millions de personnes, selon les sources.
La Chine de 2024 n’en est pas là, mais les réseaux sociaux sont actuellement en ébullition dans l’Empire du Milieu, où les comptes nationalistes affidés au PCC s’en prennent à de nombreuses personnalités.
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Les campagnes de dénigrement ont ciblé plusieurs célébrités chinoises. Ainsi, l’ancien gymnaste Li Ning, sextuple médaillé à Los Angeles en 1984, a été critiqué à cause du style supposément trop japonais de la ligne de vêtements qu’il a créée.
Par ailleurs, Mo Yan, lauréat du prix Nobel de littérature en 2012, a été accusé de « heurter les sentiments patriotiques chinois » : une expression courante de la propagande de Pékin, comme l’indique le média spécialisé ‘Asialyst’.
En cause : un livre de 1987, « Le sorgho rouge », dans lequel l’auteur décrivait certains écarts de comportement de l’Armée nationale révolutionnaire pendant la guerre entre la Chine et le Japon (1937-1945).
Des institutions ont également été visées, comme l’université Qinghua de Pékin, accusée de trahison sous prétexte qu’elle n’est pas dans le collimateur des sanctions américaines.
Mais le cas le plus marquant des dernières semaines est celui de la famille Zhong. À bientôt 70 ans, Zhong Shanshan est devenu l’homme le plus riche de Chine, avec une fortune estimée à 60 milliards de dollars.
D’une part, son fils Zhong Shuzi, détenteur d’un passeport américain, est accusé de « ne pas être assez chinois » par certains internautes cités par ‘Asialyst’.
« Zhong Shuzi héritera de l’énorme fortune de son père. Mais le futur homme le plus riche de Chine est un Américain. C’est incroyable. », ont ainsi écrit certains comptes, comme l’indique Jean-Paul Yacine, du site internet spécialisé Question Chine.
D’autre part, la marque de boissons Nongfu, créée par Zhong Shanshan, a été prise dans la tourmente. En effet, la décoration des bouteilles de thé produites par cette entreprise rappellerait les bannières traditionnelles japonaises Koinobori.
« Comme souvent, l’effervescence grégaire et contagieuse aidant, le délire dénonciateur, aux allures de lynchage, ne s’est pas limité aux réseaux sociaux. », commente Jean-Paul Yacine.
« Le 10 mars dernier, un reportage d’une télévision locale montrait deux magasins 7-Eleven [de conception japonaise] de Changzhou, dans le Jiangsu, qui retiraient de leurs rayons tous les produits Nongfu », ajoute le spécialiste.
‘France Info’ souligne que les ventes de cette marque ont plongé au mois de mars, chutant jusqu’à 40 % dans certaines régions. Une perte considérable pour une entreprise qui affiche un bénéfice équivalent à plusieurs milliards d’euros par an.
Comme l’indique ‘Asialyst’, le pouvoir utilise régulièrement le « classique levier nationaliste de la haine du Japon » afin de « détourner l’attention de la population lorsque les problèmes intérieurs s’accélèrent comme c’est le cas en ce moment ».
« La vindicte finira par cibler ceux qui ne disent rien, puis même ceux qui ne chantent pas assez fort les louanges de l’appareil », estime Ji Feng, un ancien manifestant de Tiananmen, cité par le même média.
Le climat actuel en Chine est en tout cas un motif d’inquiétude pour les entreprises étrangères, comme le confirme un rapport de la Chambre de commerce de l’Union européenne à Pékin.
Cité par ‘France Info’, ce document indique que « 55 % des patrons européens se disent sous pression en raison d’un climat des affaires davantage politisé que l’an dernier ». Et rien ne montre que la situation est en train de s’arranger !