Risque de désindustrialisation, crise énergétique, montée de l’extrême-droite : est-ce la fin du modèle allemand ?
Après avoir été célébré pour sa robustesse et sa résilience, le « modèle allemand » semble aujourd’hui plus fragile que jamais. Que se passe-t-il ?
Démocratie libérale, industrie puissante et hausse régulière du niveau de vie : le consensus autour duquel le pays s’était reconstruit après-guerre n’a jamais été autant remis en question.
Largement détruite en 1945, l’Allemagne de l’Ouest a vécu un « miracle économique » dans les décennies suivantes, redevenant rapidement l’une des premières économies mondiales. Pendant ce temps, l’Allemagne de l’Est passait dans le giron soviétique.
En novembre 1989, le mur de Berlin tombe et les deux Allemagnes se réunifient l’année suivante. Cependant, après l’euphorie initiale, la tâche s’avère plus difficile que prévu.
Le choc de la réunification entraîne une décennie de stagnation pour l’Allemagne, au point que le pays est qualifié d’« homme malade de l’Europe » par l’hebdomadaire ‘The Economist’ en 1999.
Dans un contexte de chômage de masse, le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder met en œuvre des réformes économiques et sociales douloureuses. L’hostilité d’une partie de son camp à ce programme lui coûte son poste en 2005.
Angela Merkel, qui lui succède à la chancellerie, en retire les bénéfices et dirige pendant seize ans un pays qui a retrouvé sa prospérité et sa confiance en lui. À l’heure de la crise financière qui a débuté aux États-Unis, le « modèle allemand » est célébré dans le monde entier pour sa solidité.
Pourtant, les années Merkel sont aussi celles d’une succession de crises : crise financière et crise de l’euro, puis crise des migrants en 2015, et enfin crise sanitaire avec ses conséquences économiques et sociales à partir de 2020.
Olaf Scholz, qui a succédé à Angela Merkel en 2021, est en alerte permanente depuis son arrivée au pouvoir, entre la fin de la pandémie, la crise économique et le début de la guerre en Ukraine.
Ces dernières années, le paysage économique allemand a été bouleversé, entre une inflation galopante, des pénuries sur les chaînes d’approvisionnement qui perturbent l’industrie et une crise énergétique rampante.
L’inflation d’abord : avec un taux de 7,9 %, la hausse des prix a atteint un record en 2022. Touchant principalement l’alimentation, l’énergie et le logement, elle frappe tout particulièrement les Allemands les plus modestes.
Entre la récession post-Covid et la vague actuelle d’inflation, les ménages allemands ont vu leur niveau de vie reculer trois années consécutives entre 2020 et 2022. Du jamais vu, même dans la période d’après-guerre !
L’Allemagne a échappé à un black-out durant l’hiver 2022-2023. Mais entre la sortie du nucléaire, celle programmée du charbon, l’absence soudaine de gaz russe et le développement lent des énergies renouvelables, l’équation n’est pas résolue pour les années à venir.
Un autre danger qui menace l’économie allemande : la pénurie de main d’œuvre. Les départs massifs à la retraite des personnes nées après-guerre ne sont que partiellement compensés par l’arrivée sur le marché du travail de générations moins nombreuses.
L’Agence fédérale pour l’emploi (BA) a chiffré à 824 000 le nombre de postes vacants en 2022, soit 139 000 de plus que l’année précédente. Une estimation qui s’élève à 537 000 du côté de l’institut économique allemand IW.
Selon le ministère allemand de l’Économie, la population en âge de travailler devrait diminuer de 3,9 millions d’individus d’ici à 2030, et de 10,2 millions à l’horizon 2060.
Cette situation va affecter les capacités de production des entreprises, d’autant que les filières d’apprentissage professionnel qui ont fait le succès du modèle allemand sont de plus en plus délaissées.
Face à cette pénurie programmée de la main d’œuvre disponible, le gouvernement vise à activer le plus grand nombre d’individus (seniors, femmes travaillant à temps partiel), tout en encourageant l’immigration de travailleurs qualifiés.
En attendant, le risque de désindustrialisation est de plus en plus réel. Les prix élevés de l’énergie et les incertitudes sur l’approvisionnement, ainsi que le manque de main d’œuvre, poussent certains entrepreneurs à envisager de délocaliser leur production.
Comme l’a rapporté un industriel allemand resté anonyme au journal français ‘Le Monde’, son entreprise de production de verres spéciaux est « en train d’organiser [sa] délocalisation en dehors de l’Union européenne » à cause des prix de l’énergie.
« Ce gouvernement assume la désindustrialisation. Toute la politique énergétique allemande de ces dernières années est un fiasco. », a ajouté ce chef d’une entreprise familiale de 350 salariés.
À la crise économique s’ajoute actuellement une crise politique. Les derniers sondages ont mis en lumière une remontée du parti d’extrême-droite AfD à 20 % des intentions de vote, devant le SPD, le parti du chancelier Scholz.
Très implantée à l’est, cette formation populiste pourrait même arriver au pouvoir dans le Land de Thuringe l’an prochain. De quoi alerter sur le mécontentement de la population, mais aussi sur l’état de la démocratie dans le pays !
Jadis admirée pour ses succès économiques, l’Allemagne est aujourd’hui en proie au doute et doit surmonter de nombreuses crises. Néanmoins, les atouts dont elle continue de disposer permettent de rester optimiste quant à l’avenir de la première économie européenne.