Sénégal : neuf morts et des scènes de chaos après la condamnation de l'opposant Ousmane Sonko
La situation est tendue au Sénégal. Des violences meurtrières ont éclaté dans la capitale, Dakar, et d'autres villes sénégalaise ce jeudi 1er juin, après la condamnation de l'opposant politique Ousmane Sonko, accusé de viols et de menaces de mort, à deux ans de prison ferme pour "corruption de la jeunesse". Une peine qui compromet sa candidature aux présidentielles 2024.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, plusieurs points de la capitale sénégalaise ont été attaqués par des groupes de jeunes. "L'université de Dakar a pris des airs de champ de bataille", décrit l'AFP. Aux quatre coins de la ville, des pneus ont été brûlés, des biens publics détériorés, des obstacles déposés dans les rues, et des heurts ont éclaté entre les manifestants et les forces de l'ordre, relaye France 24.
Issus de différents quartiers de Dakar, les manifestants sont des partisans d'Ousmane Sonko, opposant au président actuel du Sénégal, Macky Sall. Dans un communiqué, le parti politique de Sonko, le PASTEF, avait appelé les Sénégalais à se mobiliser et à "descendre dans la rue".
Ces scènes de violence, entre partisans et forces de l'ordre, ont coûté la vie de neuf personnes, d'après les dernières informations officielles. "Nous avons constaté avec regret des violences ayant entraîné des destructions sur des biens publics et privés et, malheureusement, neuf décès à Dakar et à Ziguinchor", a communiqué le ministre de l'Intérieur, Antoine Diome, à la télévision nationale.
Pour limiter les communications, l'accès aux réseaux sociaux a été restreint dans la soirée du 1er juin. Les Sénégalais n'avaient notamment plus accès à la messagerie WhatsApp. Ce même procédé avait été utilisé par le gouvernement sénégalais en 2021, lorsque le Sénégal avait été en proie à de violentes émeutes.
Mais pourquoi la condamnation d'Ousmane Sonko a-t-elle suscité de tels affrontements au Sénégal ? Pour mieux comprendre la situation, il faut revenir quelques années en arrière...
Depuis 2014, Ousmane Sonko est le fondateur et le président des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (PASTEF), un parti se situant à gauche sur l'échiquier politique. Élu député en 2017, Ousmane Sonko siège à l'Assemblée Nationale jusqu'en 2022. Depuis l'année dernière, il est le maire de Ziguinchor, une grande ville située au sud du Sénégal.
Candidat à l'élection présidentielle de 2019, Sonko termine troisième avec 15 % des votes, derrière Idrissa Seck, chef du parti politique libéral Rewmi, et du président Macky Sall (Alliance pour la République). Principal opposant du président sortant, Sonko s'est déclaré candidat aux prochaines élections présidentielles sénégalaises, qui auront lieu en 2024. Mais une affaire judiciaire a finalement contrecarré ses plans.
En février 2021, Ousmane Sonko est accusé de v i o l s et de menaces de mort avec arme par Adji Sarr, une ancienne employée d'un salon de beauté de Dakar que l'homme politique avait l'habitude de fréquenter. Selon la plaignante, qui avait moins de 21 ans à l'époque des faits qu'elle dénonce, l'homme politique aurait abusé d'elle à cinq reprises entre fin 2020 et début 2021.
De son côté, Ousmane Sonko a toujours nié les faits qui lui sont reprochés, en dénonçant une "tentative de liquidation politique". Selon lui, il s'agirait d'un complot organisé par le camp présidentiel pour compromettre sa candidature aux présidentielles 2024.
En mars 2021, son arrestation entraine des manifestations dans le pays, et de violents heurts éclatent entre les sympathisants de Sonko et les forces de l'ordre. Treize morts sont alors à déplorer.
Par la suite, le chef de file de l'opposition a été mis en examen et relâché sous contrôle judiciaire, jusqu'à son procès. Pendant deux ans, ce scandale aux enjeux politiques a tenu tout le Sénégal en haleine. Le procès du jeudi 1er juin était donc très attendu par la population.
Pendant cette période, la plaignante Adji Sarr a été régulièrement menacée et insultée, et a dû être mise sous protection policière, indique France 24.
Quelques jours avant le procès, dans la nuit du lundi 29 mai au mardi 30 mai, Ousmane Sonko a déclaré sur les réseaux sociaux qu'il était "séquestré" par les forces de sécurité, et a appelé à ce que "tout le monde se lève comme un seul homme parce que force doit rester au peuple". Cet appel survenait dans un climat de tension, après que des jeunes Sénégalais ont affronté les forces de l'ordre dans plusieurs quartiers de Dakar. Comme en témoigne cette photo, le ton était donné à deux jours du procès de Sonko, auquel ce dernier n'a pas assisté.
À l'issue du procès tenu ce jeudi 1er juin, la chambre criminelle de Dakar a finalement décidé de condamner Sonko à deux ans de prison pour "corruption de la jeunesse", mais l'a en revanche acquitté pour les accusations de v i o l s et de menaces de mort.
Interviewé dans l'émission Le Journal Afrique diffusée sur TV5 Monde, le député PASTEF Alioune Sall estime que cette décision est "pour le moins loufoque". Selon lui, "cette condamnation est nulle et non avenue, dans la mesure où [la corruption de la jeunesse] ne fait pas partie des chefs d'accusations pour lesquels il a été renvoyé en chambre criminelle." Le député dénonce : "Cette justice l'a blanchi, mais derrière a trouvé des prétextes fallacieux pour l'empêcher d'être candidat en 2024".
Photo : Capture écran "Le Journal Afrique" / TV5 Monde
Dans cet entretien, Alioune Sall a également soutenu ses compatriotes qui étaient descendus dans la rue "pour défendre les intérêts des Sénégalais et rétablir l'État de droit".
Désormais condamné, Ousmane Sonko pourrait être arrêté à tout moment, comme l'a indiqué le ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall à des journalistes : "La condamnation doit être exécutée. On est en matière de contumace et la mesure peut être exécutée à tout moment". Une arrestation qui pourrait multiplier les affrontements dans le pays...