Tensions diplomatiques, impasse migratoire : que se passe-t-il entre Mayotte et les Comores ?
Les tensions anciennes entre le département français de Mayotte et l’État voisin des Comores, dans l’Océan Indien, ont franchi un nouveau cap. Paris a récemment lancé l’opération « Wuambushu » (« reprise » en mahorais), au grand dam des autorités comoriennes. Mais que se passe-t-il ?
Avec cette nouvelle opération, la France cherche à lutter contre l’immigration clandestine comorienne, particulièrement élevée à Mayotte. Mais la situation entre ces deux territoires semble inextricable. On vous explique tout en images.
Selon les données de l’Insee citées par ‘Le Monde’, l’archipel de Mayotte a vu sa population quadrupler entre 1985 et 2017 du fait d’une démographie soutenue mais aussi d’une immigration importante. Le département compte désormais 50 % d’étrangers, principalement comoriens, parmi sa population, dont un tiers sont nés à Mayotte.
Revenons en arrière pour comprendre l’origine des tensions dans la région. Longtemps colonie française, l’archipel comorien dont fait partie Mayotte a souhaité accéder à l’indépendance. Lors d’un référendum organisé en 1974, Mayotte a voté pour rester française tandis que les autres îles ont fait le choix de l’indépendance.
Afin de conserver son influence dans l’Océan Indien, Paris a profité du résultat pour maintenir sa souveraineté sur Mayotte, devenue une collectivité d’outre-mer séparée des autres îles.
Le nouvel État des Comores n’a jamais accepté le coup de force français et ses revendications sur Mayotte ont longtemps été soutenues par l’ONU. Cela a conduit les Mahorais à vouloir renforcer leurs liens avec la France pour se protéger des ingérences comoriennes.
Les relations entre l’île attractive de Mayotte et les Comores qui souffrent d’instabilité politique se dégradent progressivement. En janvier 1995, le gouvernement français met fin à la libre circulation en instaurant une procédure de visa pour les Comoriens souhaitant se rendre à Mayotte. La difficulté à obtenir ce visa a eu pour effet de stimuler l’immigration clandestine.
Au fil des années, un cercle vicieux s’est donc installé entre les deux territoires, résumé pour ‘Le Monde’ par le démographe Claude-Valentin Marie : « plus les cousins comoriens arrivent, plus les Mahorais demandent des protections institutionnelles aux autorités françaises. »
Cette dynamique a abouti au processus de départementalisation de Mayotte. Depuis 2011, l’île est le 101e département français et le 5e d’outre-mer, ce qui permet d’y appliquer pleinement le droit français. Mais la situation économique reste complexe sur l’île, avec notamment un chômage très élevé des jeunes.
Durant les années 2010, les flux migratoires en provenance des Comores s’accentuent, provoquant la colère de la population mahoraise et des tensions entre communautés. Par ailleurs, les départs depuis Mayotte se multiplient vers la Réunion, voire la métropole. Un phénomène qui concerne principalement les jeunes actifs.
Afin de décourager l’immigration clandestine, le droit du sol a été durci à Mayotte en 2018. Pour qu’un enfant ait accès à la nationalité française sur l’île, ses parents doivent prouver un séjour régulier sur place d’une durée de trois mois avant sa naissance. En 2022, ce délai a été rallongé à un an pour au moins un des deux parents.
En parallèle, l’État français lance donc l’opération Wuambushu qui prévoit des moyens de sécurité renforcés, des expulsions massives et la destruction de bidonvilles. Mais ces actions ne se déroulent pas comme prévu…
D’une part, la justice a suspendu l’évacuation prévue d’un bidonville sur l’île. D’autre part, sur le terrain diplomatique, les Comores ont refusé de laisser accoster un navire transportant plusieurs dizaines de personnes en provenance de Mayotte. Le 10 avril, les autorités comoriennes avaient déjà appelé la France à renoncer à l’opération.
Mais pour Nathalie Mrgudovic, spécialiste des outre-mer, interrogée par ‘France 24’, les Comores tiennent un « double discours » car elles n’ont pas respecté leur engagement d’endiguer l’émigration vers Mayotte, malgré le versement en échange de 150 millions d’euros d’aide au développement. Et ce pays aurait bloqué l’intégration de Mayotte dans les organisations où siègent les autres États ou territoires de la région.
La France souffre par ailleurs d’un soutien faible dans la région, la question de Mayotte intéressant assez peu la communauté internationale. « Les Comores sont rarement contredites lorsqu’elles dénoncent la mainmise de la France sur Mayotte. », ajoute Nathalie Mrgudovic.
La situation est complexe car les politiques d’expulsion sont globalement peu efficaces. Les personnes refoulées vers les Comores peuvent revenir rapidement à Mayotte le temps de rassembler suffisamment d’argent.
Pendant ce temps, les jeunes immigrés restés à Mayotte restent livrés à eux-mêmes et souvent déscolarisés. Un climat de violence y règne, qu’il s’agisse de rixes entre bandes rivales ou d’attaques contre des personnes perçues comme plus riches.
Certaines voix comme celle de Mathieu Guyot, le directeur adjoint de l’hôpital de Mayotte cité par ‘France Info’, ont rappelé les « conséquences dramatiques » des précédentes actions anti-immigration, qui se sont traduites par des troubles sociaux et sanitaires, et par des émeutes.
Entre l’impasse de la question migratoire et la dégradation des relations entre la France et les Comores, la situation du 101e département français semble toujours aussi complexe. L’issue passera sans doute par un réchauffement des relations diplomatiques entre les deux pays et par une politique d’insertion et d’éducation renforcée sur le sol de Mayotte.