Tout comprendre sur le coup d'État au Niger : entre instabilité politique et influence russe
En Afrique de l'Ouest, le Niger est divisé en deux depuis que le président Mohamed Bazoum a été destitué par un putsch militaire, le 26 juillet dernier, poussant les ressortissants de France et d'autres pays d'Europe à fuir le pays.
Le coup d'État a été lancé par une junte militaire appelée le "Conseil national pour la sauvegarde de la patrie". Ce dernier est composé de militaires de l'armée de l'air, de la garde présidentielle, mais aussi de la garde nationale, de l'armée de terre, de la gendarmerie, de la police et de sapeurs-pompiers.
Le soir du 26 juillet 2023, Amadou Abdramane, colonel-major de l'armée aérienne nigérienne et porte-parole du CNSP, a informé à la télévision publique nigérienne de la destitution du président Mohamed Bazoum, détenu par la garde présidentielle à sa résidence officielle. Il a également annoncé la dissolution de la Constitution du pays, la fermeture des frontières, la suspension des institutions étatiques et un couvre-feu dans tout le pays de 22h à 5h du matin.
Dans son message vidéo, le porte-parole du groupe militaire a expliqué que leur action était "le résultat de la dégradation continue de la situation sécuritaire, de la mauvaise gouvernance économique et sociale." Il a également exhorté les puissances étrangères à ne pas interférer.
Ce n'est pas le premier coup d'État que connait le Niger dans son histoire. Depuis son indépendance, en 1960, ce vaste pays du Sahel a connu quatre putschs, le dernier remontant à février 2010, avec la destitution du président de l'époque, Mamadou Tandja.
Selon les chiffres du Fonds Monétaire International (FMI), le Niger fait partie des 10 pays les plus pauvres au monde, avec un PIB par habitant de seulement 574 dollars en 2023. La moitié de la population nigérienne vit aujourd'hui dans une extrême pauvreté.
De plus, tout comme le Mali et le Burkina Faso, ses voisins du Sahel, le Niger est confronté à une insurrection djihadiste depuis des années. Le pays est régulièrement visé par des attaques terroristes.
Pour aider le Niger à combattre le djihadisme, plusieurs troupes occidentales se sont installées dans la région du Sahel. Parmi ces soldats, quelque 1 500 militaires français sont toujours présents au Niger.
Une présence française de plus en plus contestée par la population nigérienne. Des centaines de personnes avaient protesté dans les rues de Niame en septembre 2022. Mais depuis le coup d'État du 26 juillet, de grandes manifestations ont été organisées devant l'ambassade de France de la capitale nigérienne.
France Info rapporte que certains manifestants ont brandi des pancartes hostiles à la France, sur lesquelles on pouvait lire des messages comme "À bas la France". D'autres ont arraché la plaque "Ambassade de France au Niger" pour la remplacer par des drapeaux nigériens et russes.
Après les manifestations hostiles à la France du dimanche 30 juillet, la présidence française a indiqué qu'elle "ne tolérera aucune attaque contre la France et ses intérêts." L'Élysée précise : "Quiconque s'attaquerait aux ressortissants, à l'armée, aux diplomates et aux emprises françaises verrait la France répliquer de manière immédiate et intraitable."
Outre la présence contestée de l'armée française au Niger, la France est toujours vue dans ce pays africain comme l'ancienne puissance qui l'a colonisé entre 1900 et 1960.
Sur France Inter, la politologue Niagalé Bagayoko a indiqué que la présence française était souvent "brandie comme le premier symbole d'un néocolonialisme". Mais elle précise qu'actuellement "l'ensemble des partenaires internationaux présents, militairement, sont l'objet d'une hostilité."
Dans ce climat tendu, 600 ressortissants français ont souhaité être rapatriés en France, et ont été évacués par les autorités françaises en avion au début du mois d'août. Au total, 1 200 Français sont enregistrés sur les listes consulaires au Niger.
"Notre priorité va à la sécurité de nos ressortissants sur place. C’est pour cela que nous avons décidé, comme l’a indiqué la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, de lancer une opération permettant aux Français et aux Européens qui le souhaiteraient, de quitter le pays par les moyens aériens que nous mettons à leur disposition", a expliqué le Quai d'Orsay. Outre les citoyens français, des ressortissants allemands, belges, espagnols, néerlandais et suisses, entre autres, ont fait partie des voyages organisés par la France.
Pour les 600 autres Français qui ont préféré rester sur place, le ministère des Affaires Étrangères a précisé dans un communiqué que l'ambassade de France "continue de travailler au Niger et demeure mobilisée pour leur sécurité". L'évacuation des militaires français n'est par ailleurs "pas à l'ordre du jour" a indiqué l'état-major des armées françaises à la presse.
Après le putsch militaire, d'autres pays ont également organisé leur propre évacuation de leurs ressortissants vivant sur le sol nigérien. C'est le cas de l'Italie et des États-Unis.
L'influence russe, et celle du groupe Wagner, déjà présente au Burkina Faso et au Mali, s'étend désormais au Niger. Lors des récentes manifestations, les Nigériens soutenant le putsch militaire, ont agité des drapeaux russes en scandant des slogans tels que "Vive la Russie !".
Invité de France Info, Michel Galy, chercheur au centre d'études sur les conflits et professeur de géopolitique à l'Institut des relations internationales, a expliqué que, selon lui, certains Nigériens "non francophones, par dépit et rancœur sociale, se tournent vers la Russie que l'on ne connaît pas, plutôt que vers la France, que l'on connaît trop."
"Ce qui s’est passé au Niger, ce n’est rien d’autre que la lutte du peuple nigérien contre les colonisateurs qui essayent de lui imposer leurs règles de vie", aurait affirmé Evgueni Prigojine, chef de la milice Wagner, dans un message présumé, diffusé par une organisation russe liée au groupe paramilitaire.
Les dirigeants de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) se sont réunis au Nigeria le 31 juillet pour fixer un ultimatum à la junte militaire. La Cédéao a exigé la libération du président Bazoum et le retour à l'ordre constitutionnel dans un délai maximum d'une semaine, affirmant, à défaut, ne pas exclure un "recours à la force".
Après la première réunion de ses dirigeants, la Cédéao a également annoncé des sanctions financières, comme la suspension de "toutes les transactions commerciales et financières" entre ses États membres et le Niger, et le "gel des avoirs pour les responsables militaires impliqués dans la tentative de coup."
De son côté, le président Mohamed Bazoum, élu démocratiquement en 2021, a été séquestré dans sa résidence. Il a appelé à l'aide dans une tribune publiée dans le Washington Post le jeudi 3 août : "J'appelle le gouvernement américain et l'ensemble de la communauté internationale à aider à restaurer l'ordre constitutionnel", a-t-il écrit, précisant "j'écris ceci à titre d'otage".
Le président nigérien a poursuivit : "Avec le feu vert des instigateurs du putsch et de leurs alliés régionaux, l’ensemble de la région centrale du Sahel pourrait passer sous influence russe via le groupe Wagner, dont le terrorisme brutal a été clairement exposé en Ukraine." Selon lui, si le coup d'État réussit, il y aurait alors "des conséquences dévastatrices pour notre pays, notre région et le monde entier."