La Cour suprême révoque le droit à l'avortement aux États-Unis
Terrible journée pour les droits des femmes. Ce vendredi 24 juin, la Cour suprême des États-Unis a supprimé l'arrêt Roe vs Wade, qui garantissait depuis 1973 le droit à l'avortement pour toutes les Américaines. Désormais, chaque État est libre d'autoriser ou d'interdire l'IVG sur son territoire. Et certains n'ont pas perdu de temps. Un retour en arrière de près de cinquante ans.
Dans une allocution solennelle, le président américain Joe Biden a déploré un « triste jour » pour les États-Unis. « Cette décision est si extrême que des femmes vont être obligées de porter l'enfant de leur violeur », s'est-il lamenté. Le président dénonce « une erreur tragique » qui met en danger la santé et la vie des Américaines. Il appelle à continuer le combat de façon « pacifique » en allant voter aux élections législatives de mi-mandat qui auront lieu en novembre prochain.
D'autres chefs d'État ont réagi suite à l'annonce de la Cour suprême. Sur Twitter, le président Emmanuel Macron a affirmé : « L'avortement est un droit fondamental pour toutes les femmes. Il faut le protéger. » Le premier ministre canadien Justin Trudeau a également exprimé sa stupeur sur le réseau social : « Les nouvelles en provenance des États-Unis sont horribles. Je suis de tout cœur avec les millions d'Américaines qui vont perdre leur droit légal à l'avortement. J'ai peine à imaginer la peur et la colère qui doivent vous habiter en ce moment. »
Photo : Twitter
De son côté, Donald Trump n'a pas caché sa joie. Interrogé par Fox News, il a estimé que cette décision répondait à « la volonté de Dieu ». Puis dans un communiqué, l'ancien président conservateur s'est attribué quelques mérites : « L'arrêt d'aujourd'hui, qui est la plus grande victoire pour la vie depuis une génération, avec d'autres décisions récentes, ont été rendues possibles seulement car j'ai tenu mes promesses, notamment en nommant et installant trois constitutionnalistes très respectés et solides à la Cour suprême des États-Unis. »
Il ne fallait pas perdre une minute. Certains États très conservateurs, comme le Missouri et le Dakota du Sud, ont annoncé l'interdiction de l'IVG sur leurs territoires, dans la foulée de l'annonce de la Cour suprême. D'autres États, comme l'Alabama ou le Texas, devraient suivre le pas dans les prochains jours.
C'est en s'appuyant sur une fuite de documents que le média américain Politico avait révélé, dans un article publié le 2 mai dernier, s'être procuré l'avant-projet de la Cour suprême qui révoquait le droit à l'avortement aux États-Unis.
Cet avant-projet a été signé par le juge conservateur Samuel Alito, qui siège actuellement à la Cour suprême des États-Unis. Rédigé en février 2022, le document comportait 98 pages, et pouvait faire l'objet de négociations jusqu'au 30 juin. La Cour suprême avait par la suite confirmé l'authenticité du document, indiquant qu'il ne représentait pas la décision finale de l'institution. De nombreuses manifestations avaient alors été organisées dans tout le pays, en faveur ou contre le projet.
Le droit à l'avortement était protégé aux États-Unis depuis 1973. Cette année-là, la Cour suprême avait prohibé les états d'interdire l'avortement aux femmes. L'arrêt Roe v. Wade protégeait ainsi les femmes dans chaque état des États-Unis ; où qu'elles vivaient, les Américaines avaient la possibilité d'interrompre volontairement leur grossesse si elles le désiraient. Légalement, l'avortement était autorisé jusqu'à environ 24 semaines de grossesse. C'est cet arrêt qui a, hier, été enterré.
L'avant-projet de la Cour suprême estimait que l'arrêt Roe v. Wade était "totalement infondé dès le début". Le juge Samuel Alito (photo) avait indiqué que cet arrêt devait être annulé, car, selon lui : "la Constitution n'interdit pas aux citoyens de chaque État de réglementer ou d'interdire l'avortement. La conclusion inéluctable est que le droit à l'avortement n'est pas profondément enraciné dans l'histoire et les traditions de la Nation."
Si l'arrêt Roe v. Wade garantissait l'avortement sur tout le territoire américain, le "Doe v. Bolton" permettait aux États d'ajouter des restrictions à ce droit. Ainsi, depuis septembre 2021, la loi au Texas interdit aux femmes d'avorter après six semaines de grossesse. Une période durant laquelle de nombreuses femmes ne savent même pas qu'elles sont enceintes. D'après cette loi, quiconque dénonce une IVG se voit recevoir une prime de 10 000 dollars.
Plus récemment, c'est l'état de l'Idaho qui a adopté une loi anti-avortement. Cette loi s'inspire de la loi Texas et permet aux familles de "l'enfant à naitre" de porter plainte contre les professionnels de santé en promettant 20.000 dollars aux dénonciateurs. Dans un contexte tel que celui-ci aux États-Unis, l'avant-projet du juge Alito est-il vraiment surprenant ?
Pour convaincre les électeurs les plus conservateurs de son parti, Donald Trump a misé sur la carte de l'anti-avortement pendant sa campagne présidentielle en 2015. Il a ainsi promis de nommer à la Cour suprême des juges opposés à l'arrêt Roe v. Wade. L'objectif a donc été atteint pour l'ancien président.
En arrivant à la Maison Blanche, l'ancien président des États-Unis a fait entrer trois magistrats conservateurs à la Cour Suprême, confortant ainsi une majorité conservatrice. Aujourd'hui, six juges sur neuf, dont le président John G. Roberts (photo), sont considérés comme conservateurs. Les trois autres, vus comme progressistes, avaient été nommés par Barack Obama et Bill Clinton.
Au vu du nombre de conservateurs siégeant à la Cour suprême, le droit à l'IVG était forcément en danger. Ces neuf personnes ont finalement décidé de révoquer le droit à l'avortement pour des millions d'Américaines.
Il existe désormais un autre moyen pour que les femmes puissent garder ce droit à l'IVG dans tout le pays : faire voter une loi fédérale sur l’avortement. Mais il est peu probable d'envisager cette option, car les Démocrates n'ont pas la majorité au Sénat. Les élections sénatoriales prévues en novembre 2022 pourraient être cruciales pour la question de l'avortement.
Après l'annonce de la Cour suprême, des milliers de manifestants se sont rassemblés dans les rues de plusieurs villes, dont New York. Sur les réseaux sociaux, certains se réjouissent de cette annonce, quand d'autres se mobilisaient contre. Des réactions qui témoignent d'une réelle fracture dans le pays.
Depuis l'adoption de la loi Veil en France en 1975, légalisant l'avortement, la question autour de ce droit ne suscite aujourd'hui quasiment plus de débat dans le pays. Mais ce n'est pas du tout le cas partout. Alors que certains pays viennent tout juste de légaliser ce droit, d'autres le réprimandent encore plus qu'avant.
À l'heure actuelle, l'avortement est totalement interdit dans une quinzaine de pays, dont le Congo, l'Égypte, le Honduras, la République Dominicaine ou encore le Laos. En Europe, seuls trois pays ne l'autorisent pas : Andorre, Malte et le Vatican.
Si l'interdiction de l'avortement était déjà dans la Constitution du Honduras depuis 1982, la loi contre l'IVG a récemment été durcie dans ce pays d'Amérique Centrale. L'article 67, voté en décembre 2021 par une majorité conservatrice du Parlement stipule que "la pratique de toute forme d’interruption de la vie de l’enfant à naître, dont il faut respecter la vie à tout moment, est considérée interdite et illégale. Les dispositions légales qui seraient créées après l’entrée en vigueur du présent article et qui établiraient le contraire seront nulles et non avenues."
Dans les pays qui interdisent l'avortement, les peines de prison pour celles qui se risqueraient à interrompre leurs grossesses peuvent être très lourdes. Au Salvador, par exemple, un avortement peut vous entrainer jusqu'à 50 ans de prison.
Dans d'autres pays, l'avortement est autorisé, mais seulement sous certaines conditions. L’IVG est par exemple accessible uniquement en cas de danger pour la vie de la mère au Liban, au Guatemala, en Côte d'Ivoire ou encore, en Irak. En Europe, la Pologne est le pays dont la loi est aujourd'hui la plus restrictive sur la question de l'avortement ; l'IVG y est uniquement autorisée en cas de viol, d'inceste ou de mise en danger pour la vie de la mère.
En février dernier, la Colombie a adopté une loi historique pour un pays très majoritairement catholique. La Cour constitutionnelle colombienne a en effet autorisé les femmes à avoir recours à l'IVG jusqu'à 24 semaines (soit environ 6 mois) de gestation, et ce, pour n'importe quel motif. Auparavant, l'avortement n'y était autorisé qu'en cas de viol ou si la santé de la mère était en danger. Une grande victoire pour les femmes colombiennes.